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Je ne l'ai jamais vue pleurer.

Je ne sais pas ce que j'aurais fait à sa place.

En fait, moi aussi, j'aurais aimé qu'on me prenne dans ses bras quand j'étais tout seul.

Mais en fait, je n'ai jamais été tout seul.

Et alors que je la regarde pleurer, je me dis que j'ai eu la chance d'avoir Tsukki avec moi dès le départ. Je n'ai pas souffert bien longtemps, finalement, et c'était il y a des années. Alors ça a finit par passer. Et je le vois comme mon héro, maintenant.

Je n'avais pas remarqué qu'elle avait eu le même problème que moi. Honnêtement, ça ne se voyait pas. Ce genre de choses ne se voient jamais.

Alors comment a-t-il su... ?

Elle a dû lui dire.

Mais quand ont-ils eu le temps de parler de quelque chose comme ça ?

C'est ma seule grande inconnue. Ils se sont rapprochés, ont discuté, sans que je le sache. Où ont-ils trouvés le temps de faire une chose pareille ?

"Cette fois, son père va vraiment me tuer.", avait-il dit. Ce serait donc lui qui est allé chez elle pour l'aider à sortir ? Je ne comprenais pas pourquoi ils arrivaient souvent ensemble, mais en fait, ils faisaient sûrement le trajet tous les deux.

A partir d'où ?

Plus loin que le parc, pour pouvoir parler autant. Parce qu'il n'y a que cinq minutes entre le parc et le lycée.

Et elle avait le numéro de téléphone de tout le monde, alors ils ont pu discuter par SMS.

Je soupire.

Tout se met en place dans ma tête et je me sens brusquement bête, avec ce plat de pommes au four dans les mains, alors qu'elle pleure, et que je réfléchis à comment nous sommes arrivés là. Après tout, ils n'ont rien dit, mais personne n'a demandé.

- J'ai une idée, venez, je dis soudain.

On passe en caisse pour acheter le livre d'Atsuko, et nous allons chez ma grand-mère.

- Mamie ? C'est moi !

- Tadashi ? Tu as oublié quelque chose ?

- Mon amie ne se sentait pas très bien, est-ce-qu'on peut prendre le goûter chez toi ?

Elle le sourit, tirant toutes ses rides pour les affiner.

- Bien sûr. Bonjour, Kei, comment vas-tu.

- Bien, et vous ? demande-t-il en retirant ses chaussures.

- Je vais très bien, et toi, jeune fille ? Oh, tu as pleuré, attends, je vais chercher de la glace pour tes yeux. Installez-vous dans le salon, je vais ramener des pommes, il m'en reste.

- Des pommes ? demande Tsukki.

Je souris en montrant mon plat.

- C'était un dessert à la pomme. Elle en a encore un peu, mais c'était pour le voisin...

- Tant pis pour lui ! dit ma grand-mère en revenant un torchon enroulé dans la main. Tiens, ma grande. Allez vous installer.

- Merci beaucoup, dit-il d'une voix enrouée.

- J'espère que ce n'est pas vous qui l'avait faite pleurer, dit-elle en retournant dans la cuisine.

Je détourne les yeux, et je ne sais pas quelle tête font les autres. Nous n'aurions peut-être pas dû nous immiscer dans ce moment de sa vie. Il aurait peut-être fallu que nous sortions avec elle, plutôt que de faire face à cette fille.

Nous nous installons dans la salle à manger, qui sert aussi de salon.

La maison de ma grand-mère n'est pas très grande. Cependant, maintenant qu'elle est toute seule, elle lui suffit largement.

- Elle revient avec son plat chaud, et le pose sur le dessous de plat pendant que je mets les assiettes et les verres.

- Tu as déjà mangé des pommes au four, ma grande ?

Atsuko secoue la tête.

- Jamais.

- Elles viennent de mon pommier, ça nous avait coûté une petite fortune à l'achat, à mon mari et moi, mais finalement ça en valait la peine. Tu vas voir comme elles sont bonnes.

Ce sont de petites pommes, qui ont été épluchées, et dans lesquelles il y a de la confiture de fruits rouges. Le tout passé au four se mange chaud. C'est délicieux. Mais je ne crois pas que ce soit un plat qui vienne du Japon.

Ma grand-mère nous sert une pomme chacun, et demande à Atsuko si ses yeux ne la tirent pas de trop, avant de remmener la glace.

A ma grande surprise, Atsuko avale son assiette plus vite que moi, avant de s'essuyer doucement la bouche.

- Et alors tu... venais acheter un livre ? je demande pour combler le silence.

- Oui. Pour... le programme. C'est un lecture à faire avant de commencer, je voulais jeter un œil. Après tout, même si je n'y participe pas, je pourrais quand même en avoir besoin.

- Pourquoi tu n'irais pas ? je m'étonne.

Ce n'est pas qu'elle ne peut pas être sélectionnée, mais elle vient de dire "si  je n'y participe pas", comme si elle allait finalement décider de ne pas y aller.

Elle hausse mollement les épaules, et en croisant le regard de Tsukki, je devine que lui sait.

Je suis un peu vexé, mais je me souviens aussi qu'il est très observateur. Il peut rester assis sans un mot avant de savoir suffisamment de choses pour ouvrir la bouche. Sinon, il se moque pour ramener la conversation à un niveau qu'il maîtrise.

J'admire beaucoup ça, chez lui.

Sauf que c'est frustrant.

Elle ne lui a peut-être pas dit. Ou peut-être que si. Dans tous les cas, aucun des deux ne me dira quoi que ce soit.

- Vous en êtes, silencieux ! sourit ma grand-mère en revenant.

Je lui sourit.

- Oh, tu sais, ces deux là n'ont pas besoin de parler pour communiquer.

Elle se penche vers moi, avec un sourire complice.

- Oui, pour ces deux là, j'avais cru remarquer.

Je la dévisage, les joues rouges.

- Hein ?!

Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire ! Comment en est-elle arrivée à une conclusion pareille ?

Je me tourne vers mes camarades de volley, qui me fixent, avant de se regarder, et d'hausser les épaules.

Je soupire.

Dans une certaine mesure... elle a peut-être raison, finalement.


« Je ne suis pas aussi tape-à-l'œil que vous, mais je peux vous poser les bases. » (Daichi Sawamura)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant