19e point - 2e set

259 26 1
                                        

L'un des auteurs préférés d'Hitoka, un américain, dit qu'il existe plusieurs silences. Et qu'ils sont rarement seuls, en réalité. Alors, tout comme lui, elle s'attèle à faire état des silences qui l'entourent.

Le premier serait alors celui des gens dans l'autobus, dont les respirations résonnent, tout aussi profondément que leur détermination particulière, non pas à gagner la prochaine fois, mais tout simplement à faire mieux.

Le deuxième silence serait habité par les plis des tissus, dans les fibres desquelles la sueur coulent encore lentement. C'est un silence bien plus silencieux, et la preuve qu'elle en a, est qu'elle n'entend pas les vêtements se plaindre d'être toujours traités ainsi après un match.

Et enfin, le dernier silence, qui pourrait ne pas en être un, serait le désert qui semble habiter les esprits fatigués de tout le monde. Ce silence-ci, elle n'a pas besoin de l'entendre. Elle le voit, tout simplement, comme elle voit Atsuko s'endormir à côté d'elle, et de la fenêtre.

Hitoka pousse un léger soupir, contrite par une raison qu'elle ignore.

Perdre un match pour lequel on n'a pas travaillé n'est pas frustrant. Ce qui l'est, c'est de savoir que l'ont aurait pu mieux faire. Et ça, en dépit des excuses présentées par Atsuko après leur défaite, ça n'a rien à voir avec le fait qu'elle n'ait pas été avec eux un mois durant.

Le problème, c'est qu'elle n'a pas surveillé la formation des nouveaux, et que l'équipe qui a tenté de se former sur le tas en deux semaines arrivait au bout de ses efforts. Pour eux, c'était bien trop contraignant, et elle a dû attendre pour s'en rendre compte.

Atsuko, elle, le savait déjà. La petite blonde en est persuadée.

Deux jours plus tôt, elle a "trouvé par accident" dans les notes de sa camarade le début d'un plan pour apprendre la cohésion de groupe et le travail d'équipe. Elle a aussi remarqué qu'elle ne prenait plus les réelles statistiques des joueurs.

Elle aimerait lui demander pourquoi dès maintenant.

Et puis la lumière se fait dans sa tête.

A quoi ça sert de prendre en notes un résultat qui est faussé par une situation ? Puisque les efforts fournis par les membres du club ne reflètent pas leurs capacités réelles, pourquoi les utiliser ?

- Elle a sûrement voulut préserver les statistiques encore bonnes, histoire de se baser dessus, et de ne pas les mélanger avec les anciennes.

Elle soupire encore une fois, et la voix d'Atsuko lui parvient, derrière ses yeux désormais mi-clos, eux-aussi :

- Tu es dépitée ?

Hitoka secoue la tête.

- Non.

- Tu as raison, on n'a pas le temps pour ça.

Atsuko change de position.

- Il faut mieux faire pour le prochain match.

- Tu sais que le prochain, c'est cet été ?

- Bien sûr, que je le sais. Pourquoi tu me pose une question pareille ? demande sa voisine en baillant.

Les yeux à nouveau ouverts, la lycéenne demande :

- Tu sais déjà ce qu'on va faire ?

- J'ai une idée, mais je t'en parlerais demain. Il faut aussi que je la présente au coach et au professeur, mais j'ai vraiment besoin de dormir.

- Oh, désolée, je ne te dérangerais plus.

Hitoka se tait un instant, avant de rouvrir la bouche :

- Dis, pourquoi-

- J'en étais sûre, soupire Atsuko, tu es adorable et naïve, mais j'ai bien peur que ça te rende terriblement prévisible.

- Ah... Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Rien, répond l'autre les sourcils froncés, tout en secouant la tête. Je n'ai pas dormi, cette nuit. Il faisait trop chaud.

- Mais... tu n'as pas la clim', chez toi ?

- Le bruit qu'elle fait m'empêche de dormir, elle aussi. Et ma chambre donne plein sud, donc toute l'après-midi, elle se charge en chaleur. C'est désagréable. J'en ai profité pour terminer mon fameux plan, et commencer un nouveau chapitre en mathématiques.

Atsuko est coupée par l'un de ses bâillements, qu'elle arrivait pourtant à caler entre deux phrases jusqu'à présent, mais celui-ci lui fait ouvrir la bouche si grand qu'elle en a les larmes aux yeux.

- Tu aimes vraiment les mathématiques, pas vrai ?

- Oui.

- Tu as de la chance, d'avoir trouvé un truc qui te plait. Moi, je ne sais pas encore ce que je vais faire, parce que je suis intéressée par plusieurs choses, mais aucune en particulier.

- Tu sais ce que tu ne veux pas faire, au moins ? demande Atsuko qui commence à renoncer à sa sieste.

- Pas du tout.

- Tu te vois faire de la recherche ?

- C'est ce que tu veux faire, toi ?

- C'est ce qui m'intéresse pour le moment. Je voudrais voir jusqu'où je peux aller, mais pour le moment, je ne fais que "rattraper" le niveau des petits génies qui savent faire ce que je fais, mais depuis leurs douze ans.

- Oh, dit Hitoka gênée. Je ne savais pas... Mais maintenant que tu le dis, ça me semble logique, qu'il y ai quelqu'un de plus doué que toi sur le sujet. Je n'y avais jamais pensé, encore.

- Je ne peux pas être douée en ne sachant faire que ce qu'il y a au programme. Mais je le dépasse à peine.

- Le programme de quelle année ?

La brune met un temps à répondre, gênée à son tour :

- Deuxième année d'université ?

- Mais tu es folle ! crie-t-elle en réveillant la moitié du bus. Comment tu peux dire que tu "dépasses à peine le programme" ?! Tu as trois ans d'avance !

- Oui, mais si tu vas par là, j'ai presque un diplôme de génie mécanique depuis le temps que je suis ces cours en ligne. Je serais diplômée sans le moindre diplôme, tu sais ce que ça veut dire ?

Hitoka tente :

- Que tu es en avance ?

- Que si je devais me rabattre sur l'université, comme je ne peux sauter aucune classe, je perdrais cinq ou six ans à revoir ce que je sais déjà. Et je déteste ça. Il n'y a rien de pire pour moi que de répéter, encore et encore, gémit-elle théâtralement. Au final, ça me sort par les yeux. que ce soit les cours, ou les professeurs. Et je déteste ça. Je n'irais pas aux cours, je serais sûrement virée avant d'avoir fait "ouf" pour absentéisme régulier, et ma vie se résumera à quelques calculs sur des feuilles de brouillon, que même les plus grands cerveaux de ce monde connaissent déjà sur le bout de leurs doigts.

Hitoka sourit :

- Mais pourquoi tu n'y arriverais pas ?

- Je n'ai pas dit que je n'y arriverais pas.

- Tu viens de faire un monologue, commence derrière elles, pour dire ce qu'il se passera si tu échoue, soupire-t-il ensuite, mais tu as prévu de réussir ?

- Bien sûr que oui, ricane Atsuko en croisant les bras et en levant les yeux au ciel.

Elles en oublient le point de départ de leur conversation, et Tsukishima la regarde bouder, passablement amusé.


« Celui qui monte l'échelle doit commencer par le bas. » (Ittetsu Takeda)

InéquationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant