Inéquation

5e point - 1er set

C'est entourée d'Hinata, et Kageyama qu'Atsuko passe le pas de sa porte. Elle leur propose un café, qu'ils refusent poliment, avant bien sûr de s'excuser platement encore une fois.

Elle est rentrée à pied avec eux, faisant une partie de chemin avec Tsukishima, son grand désarroi, et Yamaguchi, inquiet.

Le personnel de la maison regarde le visage bleuit de la petite maîtresse, et fronce les sourcils. L'adolescente leur sourit une dernière fois.

- Merci de m'avoir raccompagnée.

- De rien, on se retrouve demain ! sourit le petit rouquin.

Il n'a pas le temps de faire demi-tour qu'il se cogne dans le torse d'un homme bien plus grand derrière lui. Le père d'Atsuko, monsieur Kaneko.

- Ah... bo...bonsoir... bafouille-t-il tandis que son camarade les regarde tous les deux tranquillement.

De là, il voit clairement à quel point Atsuko ressemble à son père. Mais le petit joueur blêmit lorsque l'homme voit le visage de sa fille, qu'elle ne semble pas pressé d'expliquer.

Elle le fait après un court silence.

- Je me suis pris un ballon dans le nez, en plein match.

- C'est moi qui l'ait lancé, dit le plus grand lycéen.

- Et moi qui l'ait frappé... marmonne le second.

- Et leur adversaire qui ne l'a pas arrêté, soupire Atsuko. Mais tout va bien, je n'ai rien de cassé. Ne t'en fais pas. On peut les laisser repartir ? Ils ont un long trajet, ils habitent à l'opposé. Ils m'ont raccompagné avec deux autres membres du club.

Il pince les lèvres, sensiblement contrarié, et les deux volleyeurs s'éclipsent avec un bref signe de tête. Elle regarde son père un moment, les bras croisés, et entre définitivement dans la maison en secouant la tête.

- Atsuko, l'appelle-t-il alors qu'elle commence à monter les escaliers.

Sa voix grave résonne jusque dans sa propre gorge, mais elle ne s'arrête qu'une fois en haut, les deux mains sur la rambarde.

- C'est vraiment rien ? demande-t-il.

Elle sourit doucement.

- Hitoka, tu sais, la fille de madame Hitoka, je m'entends bien avec elle, et je lui ai dit que je pourrais lui donner un coup de main, alors... Il faut que j'y aille. Mais bon. C'est vraiment ce dont ça a l'air, Papa. Je me suis pris un ballon dans la figure parce que je notais les points des joueurs pour Hitoka.

Elle lui fait un signe de la main, et passe la porte de sa chambre. Elle pose son sac à côté d'elle, au beau milieu de la pièce vide, bien que les murs soient tapissés de calculs en tout genre, et sort de son sac les listes de croix qu'elle a prises en notes.

Elle trace un tableau sur une autre page blanche, et y inscrit les statistiques résultantes. Quand son père passe la tête dans l'embrasure une heure et demi plus tard, elle fait les photographies promises des feuilles en question.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Ce dont je t'ai parlé tout à l'heure, répond-elle avec lenteur.

Elle rassemble les feuilles une fois qu'elle a terminé, et elle se relève, mettant son portable dans sa poche, après avoir envoyé le message promis.

- C'est l'heure de manger ?

Il hoche la tête.

- Ta mère n'est pas encore rentrée. Je pense qu'on ne va manger que tous les deux, ce soir.

Elle hoche la tête, soupirant à peine, habituée. Il y a des choses qui ne changeront pas de sitôt dans cette maison.

Atsuko entre dans la cuisine pour s'installer à table.

On pourrait penser qu'au vu de la taille de la maison, la cuisine pourrait être cet endroit suréquipé en gris et blanc, et dans laquelle s'affaireraient de nombreuses personnes. Mais il n'y a pas de nombreux cuisiniers, dans le manoir. Seulement une. Et la mère d'Atsuko voulait absolument une cuisine normale.

Le père d'Atsuko brise soudain le silence.

- Je croyais que tu étais dans le club féminin ?

Elle hoche la tête.

- Les garçons jouaient à côté de nous.

Si elle devait faire réellement état de sa phrase, son hochement de tête peut être interprété de la manière qu'il le souhaite. Le reste en revanche est fondamentalement vrai.

Question d'habitude, quand on a des parents surprotecteurs.

Il pince les lèvres.

- D'accord...

Elle ressent vaguement une pointe de culpabilité, mais très vague, avant de remettre le nez dans sa soupe.

- Je viens avec toi demain.

- Quoi ?!

Atsuko manque de s'étouffer.

- Mais si tu fais ça, je vais passer pour une fille à papa, c'est hors de question ! Et puis, qu'est-ce qu'ils penseront de moi s'ils te voient arriver ?

Il secoue la tête.

- Ma fille n'a pas à se faire frapper par des ballons.

- Mais c'est le risque ! C'est un sport, le sport, c'est dangereux ! Je commence à prendre mes marques et on m'a donné du travail. Hitoka me fait confiance et compte sur moi, tu ne peux pas faire ça ! Je ne veux pas que tu mettes les pieds à Karasuno.

Elle s'est levée pour se mettre en colère, et a les yeux plantés dans les siens. Les yeux, c'est important, dans la famille. Petite, son père ne l'écoutait pas, si elle ne le regardait pas dans les yeux. Et même si ça peut lui poser des problèmes aujourd'hui pour communiquer, regarder les gens dans les yeux lui permet de montrer ce qu'elle ressent.

- Papa. Tu ne viendras pas, n'est-ce pas ?

Il hésite.

- Pourquoi ne pas t'inscrire dans un autre lycée ? propose-t-il.

Elle lâche définitivement sa cuillère.

- Tout le monde est gentil avec moi là-bas. Et ce n'est pas parce qu'on vient me chercher en voiture le soir. On sait tous les deux que le lycée d'à côté n'est pas rempli de gens qui agiront de cette manière.

- Atsuko...

Elle sort de la cuisine sans un dernier regard pour le repas qu'elle abandonne, et s'enferme dans sa chambre, muette.

Elle ne croise personne sur le chemin, et ça l'arrange bien. Personne ne se mêlera de ses affaires, et puis c'est tout.

L'adolescente se laisse tomber sur les fesses, au beau milieu de son "bureau", et termine ses devoirs du jour. Elle aura cours le lendemain matin, et sera ensuite libre de treize heures à quinze heures, heure de participation aux clubs pour tous les élèves du pays.

Elle soupire.

« Il n'y a rien de mal à tenir bon et à ne pas reculer d'un pouce. » (Shoyo Hinata)