Chapitre 56

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PDV CAMDEN

(Pour un chapitre plus agréable à la lecture mettre la musique en route, disponible en média)

Qu'est-ce que je suis censé éprouver à cet instant ? Tout ce que je peux affirmer, c'est que mon cœur est incroyablement serré, comme si, plus je réalisais que ce p'tit gars est parti, plus mes sentiments se barricadent entre ces barreaux qui m'emprisonnent.

J'emprunte inconsciemment le chemin qu'a emprunté Lou, il y a quelques minutes.

Ouais, c'est à mon tour de prononcer mes hommages ou un truc du genre. Mon pote, profite en, c'est pas souvent.


Je m'installe devant toutes ces personnes habillées de noir, tout comme moi. Je les observe uns par uns, avant de fixer la feuille sur laquelle j'ai gribouillé quelques trucs.

Ce n'était pas facile.

Le denier regard sur lequel je m'arrête, c'est celui qui, depuis plusieurs jours, semble complètement vide. Lou ancre ses prunelles aux miennes, et c'est à cet instant que je décide d'adresser mes dernières paroles à ce p'tit mec.

Je lis les premiers lignes de mon "texte" puis décide tout compte fait de ne me référencer que d'après mes souvenirs.

Je n'ai pas besoin de ce beau discours que j'ai galéré à rédiger. Nan mon pote, si je dois t'accorder mes dernières paroles, je préfère te les dires comme je te les aurais dites en temps normal.

Alors je pose la feuille sur pupitre, mets un temps soit peu d'ordre dans mon crâne puis me décide enfin :

- Je crois que je ne suis pas doué pour dire ce que je ressens, mais aujourd'hui p'tit gars, je le fais pour toi.

Je fixe un point central, pour me permettre de me concentrer sur ce que je vais dire.

- Je ne connais pas forcément la mort, enfin, je ne l'ai pas côtoyé de près. Mais si j'ai bien pu comprendre une chose, c'est que ça arrive au moment où on s'y attend le moins.

Je fais une courte pause, puis reprends :

- Ouais, le matin avant que j'apprenne ton décès, je t'ai eu au téléphone, on avait dit qu'on se reverrait bientôt. On n'a pas vraiment tenu notre promesse, hein ?

Je me surprends à sourire bêtement, puis mon regard navigue jusqu'à celui de Lou, débordant de larmes. Elle m'écoute attentivement.

- Ce matin-là, tu m'as dit que tu n'avais pas fait de cauchemar, et que c'était grâce au bracelet que je t'avais donné. Je ne sais pas pourquoi tu y tenais autant, mais je suis entré dans ton jeu, en t'affirmant que ce bracelet te donnerait des super-pouvoirs. Tu m'as cru sur parole. Tu étais un petit mec rempli d'espérances !

Je regarde à présent le petit cercueil en bois ciré devant moi, il est un peu plus grand que la taille de Noah.

- Et soudainement, sans que je ne comprenne véritablement la raison, tu m'as demandé si je t'aimais bien. La vérité, c'est que...

Je laisse ma phrase en suspens avant de revenir la compléter :

- La vérité, c'est que de ton petit âge, t'as réussis à raisonner plusieurs fois la grosse brute de dix-huit ans que je suis. Tu m'as fait comprendre certaines choses, que je n'aurais pas pu comprendre avant.

Bordel, c'est compliqué de dire ce que l'on pense vraiment.

- Je crois que oui, je t'aimais bien. Ouais, c'est même certain.

Je souris avant d'enchaîner :

- Pour toute réponse tu m'as dit que tu m'aimais bien aussi, et que j'étais ton "meilleur copain" à qui tu pouvais raconter plein de choses que tu ne disais pas forcément aux autres, parce qu'ils ne te comprenaient pas. Et tu sais quoi ? Je crois que j'ai aimé tenir ce rôle. Au début, écouter, parler et recommencer, ce n'était pas mon truc. Finalement, avec toi, je crois que c'était devenu un quotidien auquel je me suis habitué et que j'ai fini par apprécier.

Mon regard s'arrête sur Asher, qui, malgré ce qu'il montre, n'est pas du tout à son aise ici. Je décide de faire un petit clin d'œil à sa petite sœur également :

- J'en connais une avec qui tu te serais bien entendu, elle avait à peu près ton âge. Finalement, je crois que je suis un aimant à gosses ! D'abord elle et puis toi...

Le regard d'Asher se plante dans le mien, et il me sourit tristement, je le lui rends discrètement avant de continuer :

- Tout n'était pas simple pour toi p'tit gars, pourtant j'étais persuadé que tout irait mieux pour toi, je te l'ai même promis.

Comme quoi j'avais tors.


- Tu as sûrement fait des personnes bien plus heureuses après ton passage. Ouais, t'étais la petite tornade de bonheur dont tout le monde avait besoin. La première fois que je t'ai véritablement adressé la parole, c'était une nuit. Tu avais fait un cauchemar, puis tu me l'as raconté librement, comme tu l'aurais fait avec un pote. Tu as vite compris qu'on le deviendrait, pas vrai ?

Mon regard passe rapidement sur Hailey, Bryan et Léo, qui ont tous le regard baissé. Tristes.

- Tu sais, cette balade en voiture que tu m'as dit vouloir faire, je te promets qu'un jour, on la fera mon pote. On mettra ta musique favorite à fond, et on roulera n'importe où. On s'arrêtera même prendre une glace, parce que je trouve ça cool, puis tu n'arrêteras pas de parler, comme à ton habitude.

Lou sourit tristement.

Cette fois, elle ne s'essuie pas rageusement les larmes, elle les laisse s'exprimer comme bon leur semble, montrant qu'aujourd'hui elle assume son chagrin.

- Ça va être étrange de ne plus te voir courir partout et montrer tes maisons en Lego. Ou même t'entendre me parler, la bouche pleine de tes céréales préférée.

Ôtez-moi cette douloureuse sensation qui s'empare de ma poitrine...

- T'inquiètes pas mon pote, je viendrais souvent te voir. Après tout, on se voyait pas mal de fois déjà, autant continuer !

Je souris tristement.

- Je te laisse mon bracelet, pour toujours, comme tu me l'avais fait promettre. De toute façon, il t'allait bien mieux qu'à moi !

Je regarde les nuages, qui viennent faire un peu d'ombre dans ce milieu d'après-midi ensoleillé.

- On se reverra mon pote. Sois en certain, je n'ai pas fini de t'apprendre mon vocabulaire qui laisse à désirer, ni encore fait de tour en voiture avec toi, ou manger de glace. Je n'ai pas assez entendu ta voix aiguë, et rigolé avec toi p'tit pote. Alors attends-moi avant de faire tout ça, tu veux ?

Ma vision se trouble, et j'espère que ça ne se voit pas trop.

- Aller, je crois que j'ai assez parlé pour une fois, tu ne crois pas ?

J'avale difficilement ma salive comme pour essayer de faire descendre cette boule dans ma gorge, qui me semble si douloureuse.

- On se capte bientôt ! Je t'aime bien.

Je reprends mot pour mot ce qu'il m'avait dit au téléphone.

Je lui offre un dernier sourire, mon regard rivé au ciel.

À plus p'tit gars.

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