Chapitre 2.

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Un liquéfié gisait au beau milieu de la rue. Un mâle, pour autant qu'on pouvait en juger de prime abord. Son aspect général évoquait l'image rassurante et familière d'un fruit - ou d'un légume - que l'on aurait oublié plusieurs jours en plein soleil. La peau était noircie, flétrie, ratatinée et fripée, couverte de petites incisions par lesquelles s'épanchait la chair avariée. Les tissus avaient littéralement fondus, transformés en bouillie infâme.
Voilà ce qui arrivait quand la maladie atteignait son stade terminal. Les entrailles se liquéfiaient à l'intérieur jusqu'à finir par crever l'enveloppe et se répandre au-dehors.

Daichi secoua la loque du bout du pied. Le fragile épiderme n'y résista pas.
Grand, brun, athlétique, un poignard à la ceinture et un manche de pioche à la main, Sawamura était le commandant du peloton de chasse.

- Dégueu, ricana à son côté un gamin dont la tignasse châtain était toujours impeccablement coiffée.

- Assez rigoler ! On n'a pas de temps à perdre avec ça, déclara Daichi en tournant le dos au macchabée pour remonter Holloway Road.

Au début, lorsque le fléau s'était abattu, les gamins étaient horrifiés et fascinés par les cadavres. Maintenant, ils y étaient tellement habitués que c'est à peine s'ils les remarquaient encore. Mais un liquéfié constituait toujours une attraction.
En ordre de marche derrière son chef, l'escouade de maraudeurs se remit en route. Ils n'avaient pas fait cent mètres que le châtain, Oikawa, ralentit l'allure.

- C'était quoi ça ?

Tous se figèrent et tendirent l'oreille.

- Des chiens, répondit bientôt un autre garçon en se portant en tête de peloton.

Plus grand que Daichi et aussi plus costaud, il était le meilleur guerrier du lot. Un guerrier qui avait maintes fois fait la preuve que l'art du combat n'était pas qu'une question de force physique. Il s'appelait Bokuto Kōtarō, avait un corps sec et noueux, des yeux dorés et un teint clair. Bien qu'il fut lunatique, gouailleur et soupe au lait, personne n'aurait songé à lui en tenir rigueur tant ses qualités au combat rattrapaient largement ses défauts. De fait, lors des coups durs, il leur avait plus souvent qu'à son tour sauvé la mise. Il était rapide, rusé et totalement impitoyable. Bref, il vallait mieux l'avoir avec soi que contre soi.

Ils attendirent. On les entendait venir de loin, bien avant de les voir. Un concert d'aboiements, de jappements et de hurlements qui fondaient en un seul et même cri de cauchemar.

Daichi leva sa lance, une tige en métal trouvée sur un chantier, et la pointa en direction du bruit. L'arme possédait une lourde boule à un bout et un poinçon, soigneusement affûté, à l'autre. Parfait pour tenir les adultes à distance, les larder avec la pointe et les fracasser avec la garde. Un engin destiné à tout sauf au lancer. Beaucoup trop précieux pour cela.

Daichi se mit en garde derrière lui, à côté d'Oikawa et d'Iwazumi. Ces deux-là ne se quittaient jamais. Les meilleurs amis du monde. Avant le désastre, ils écumaient les rues, seulement armés de bombes de peinture. Leur tags étaient visible aux quatre coins de Tufnell Park et de Camden Town, bombé sur les murs et les rideaux métalliques des magasins, dessiné au pochoir sur les trottoirs, gravé sur les vitres des abribus. Ils connaissent tous les coins et recoins du quartier, les contre-allées et les ruelles, les détours et les raccourcis.
Hajime, avait le cheveu court et un visage pincé. Tooru était le plus grand des deux. Il était beau gosse et aurait sans doute eu du succès avec les filles s'il n'avait pas passé le plus clair de son temps avec Iwa. Mais c'était comme ça. Ils étaient comme les deux doigts de la main, finissant mutuellement leurs phrases et riant à gorge déployée à la moindre blague de l'autre. Hajime était armé d'une hache, Oikawa d'une masse. A eux deux, ils formaient une redoutable équipe, abattant portes et fenêtres avec un entrain qui faisait plaisir à voir - ce qui ne leur interdisait pas, à l'occasion, de se servir de leurs outils dans les corps à corps.

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant