ENEMY

Chapitre 51.

  Ils arrivèrent à la tombée de la nuit : Kazuma le pirate, accompagné de dix durs à l'air particulièrement mauvais, plus quelques petites frappes hautes comme trois pommes et pourtant encore plus arrogantes que leurs aînés. On les escorta à la salle du trône. Ils y pénétrèrent avec la ferme intention de ne pas se laisser impressionner, de garder le visage impassible et fermé qu'ils affichaient jusqu'alors. Rattrapés par la réalité, ils se figèrent au seuil de la pièce, bouche bée, bras ballants.

- La vache, s'exclama Kazuma, dites-moi que je rêve.

  De fait, la scène qui s'étalait sous leurs yeux était tellement surréaliste qu'on avait peine à croire qu'elle soit réelle. Affalés sur leurs trônes, les restes de la famille royale étaient alignés en rang d'oignons, la bave aux lèvres. Yūji était debout d'un côté, les mains attachées dans le dos, les chevilles entravées par une corde qui permettait de marcher, mais pas de courir. Il avait un gros pansement sur le nez et deux gros bleus violacés autour des yeux. Il était plus moche que jamais.
  Ushijima et Tendō se tenaient de l'autre côté, debout, les bras croisés. Wakatoshi portait un costume fraîchement lavé et repassé ainsi qu'une cravate impeccable. Des membres de la garde, dans leur uniforme rouge et noir, le fusil au pied, se tenaient de part et d'autre de la rangée d'aristocrates décrépits ; ils faisaient de leur mieux pour paraître professionnels.

  Taichi et son peloton étaient alignés le long d'un des murs latéraux, en regard des principaux leaders du clan Holloway. Yukie trouvait que ça faisait ridiculement penser à un spectacle de fin d'année - une représentation d'une pièce de théâtre par les élèves de 4ème, ou un truc comme ça, avec des enfants déguisés en rois, en reines ou en soldats. Il n'empêche, elle avait hâte de voir comment la pièce allait se terminer. Ushijima affichait un petit sourire en coin qui laissait clairement entendre que le prologue s'était déroulé selon ses plans. Les squatteurs avaient baissé la garde. Ils étaient à sa merci.
  Levant la main pour demander le silence, il déclara :

- Ce matin, je vous ai envoyé mon émissaire.

  Yukie se mordit la lèvre. Depuis quand était-elle l'émissaire de Wakatoshi ? De toute évidence, Terushima voyait d'un aussi mauvais œil qu'elle cette idée d'émissaire.

- Émissaire ? répéta-t-il d'une voix nasillarde. De quoi tu parles, branleur ?

- Yukie, ici présente, parlait en mon nom. Maintenant, je vais aller droit au but.

- Parlons-en de droit au but, grogna Kazuma. On n'est pas venu ici pour causer. On est venus récupérer Yūji.

- Ce n'était pourtant pas ce qui était convenu, n'est-ce pas ? répondit Ushijima. Le marché était le suivant : si vous voulez récupérer Yūji, il faut discuter.

- Y a rien à discuter, rétorqua Kazuma. De ce que j'en vois, on a remporté la bataille.

- Mais on a Yūji, répliqua Wakatoshi.

- Pourquoi faut-il toujours que le ton monte entre nous ? intervint Satori. On n'est pas forcés d'être ennemis.

- C'est ça, t'as raison !

- Écoutez, on a de la nourriture ici, continua Satori. La sécurité. Sans parler du fait qu'on est beaucoup plus nombreux que vous, et qu'on a des armes. De vraies armes. Ainsi que des gars prêts à s'en servir. Est-ce que ce ne serait pas plus malin, dans ces conditions, de vous joindre à nous ? Ensemble on serait imbattables. On pourrait affronter sans craintes n'importe quelle bande de gamins. On pourrait dominer Tokyo.

  Une nouvelle fois, Yukie fit la grimace. Dominer Tokyo était le cadet de ses soucis. Elle ne voulait qu'un toit au-dessus de sa tête, une assiette pleine, et pouvoir dormir une nuit sans être réveillée toutes les demi-heures, trempée de sueur et stressée à mort. Mais peut-être que les squatteurs ne comprenaient que ce langage-là...