ENEMY

Chapitre 34.

Les gamins se rassemblèrent sur le trottoir. Yukie les regarda se masser les uns contre les autres, dans leurs vêtements incongrus, à la taille plus qu'approximative. Elle n'était pas loin de penser qu'ils ressemblaient beaucoup aux tristes sires qu'ils avaient croisés à l'intérieur. Toutefois, force était d'admettre qu'ils faisaient plus propre que lorsqu'ils étaient arrivés. Ils évoquaient moins un bataillon de clochards, même si certains, comme elle, avaient choisi d'empaqueter leur butin pour plus tard. Et tant pis pour l'odeur. De toute façon, c'était leur corps qui puait et aucun vêtement, fut-il neuf, n'aurait pu y changer quelque chose. Une puanteur à laquelle, à force de baigner dedans à longueur de journée, on finissait par s'y habituer. Avec un peu de chance, si ce que leur avait dit Satori était vrai, ils pourraient prendre des douches, voir des bains, une fois au palais.
Le palais... Rien que le nom semblait ridicule. D'ailleurs, au fond, elle n'y croyait pas encore vraiment, se contentant de prendre les choses comme elles venaient, en essayant de ne pas trop penser à l'avenir. De ne pas espérer.

Kuroo faisait le tour de ses troupes, vérifiant avec Kenma que tout le monde était bien là. Yukie regarda Keiji qui faisait de même pour l'autre clan. Quelques secondes plus tard, un petit signe de tête mît fin à ses angoisses. Personne ne manquait à l'appel.
D'un bond elle se jucha sur un banc public et déclara :

- Ok. Maintenant on est parés. On s'arrête plus jusqu'au palais. C'est pas loin. Une demi-heure tout au plus. Vous êtes prêts ?

Une immense clameur lui répondit, et c'est le cœur un peu plus léger qu'elle alla trouver Kuroo.

- On y va ?

- Ouais, répondit Kuroo en levant le bras, comme Daichi la veille.

Puis il le baissa en direction de la route à suivre, en parfaite formation de marche.
Godzilla avait vite été adopté par un trio de jeunes - Kei, Natsu et Kunimi -, qui y avaient aussitôt vu un moyen de détourner leurs pensées d'eux-mêmes. Ils le tenaient à tour de rôle, le cajolant tel un bébé, partageant à l'occasion avec lui une boîte de pâtée pour chiens, à la petite cuillère.
C'était au tour de Kunimi de l'avoir. Silencieusement, la conversation entre le gamin et l'animal allait bon train.

- T'es comme moi, Godzilla. Tu peux pas parler.

- C'est pas pour ça que j'suis une buse.

- Moi non plus. Parler n'a jamais rien arrangé à rien. Finalement, peut-être que je devrais faire comme toi : aboyer...

- Je te le déconseille. Les gens penseraient que tu es zinzin.

- Bah, je m'en fiche ; ils le pensent déjà. Plus jamais je parlerai.

- Vraiment plus jamais ?

- Oui, je crois bien. Je suis heureux comme ça. À l'abri. Si personne ne peut entendre tes pensées, personne ne peut te faire de mal. T'es le seul qui me comprend, Godzilla, et réciproquement. On restera toujours amis, hein ?

- Sûr. Dis, tu les aimes bien, les nouveaux ?

- J'aime bien Yukie, elle est sympa. Shimizu aussi, elle est gentille. Mais Bokuto me fait peur.

- T'as hâte d'être au palais ?

- Ouais. C'est la première fois que j'y vais. Pour tout dire, c'est quasiment la première fois que je quitte Holloway. J'aurais trop aimé venir ici avant que tout se détraque.

- Je peux le prendre ?

Kunimi leva les yeux. Natsu. Il serra Godzilla plus fort contre lui. C'était pas son tour. Il ne l'avait eu qu'un petit moment.