Chapitre 37.

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  Ushijima tint parole. Ce soir-là, un dîner de gala fut servi dans la salle à manger officielle, au faste quasi déstabilisant pour les nouveaux arrivants. Décontenancés par cet étalage de luxe et d'opulence, ils se seraient crus dans un film historique. Peinte d'un rouge profond, la pièce était éclairée par une myriade de bougies supportées par des chandeliers en argent. Elle surplombait le jardin, que l'on voyait se dessiner derrière des hautes portes-fenêtres. Sur le mur d'en face des ouvertures trônaient des portraits des monarques d'antan. Les gamins prirent place autour d'une majestueuse table en bois verni, débordante de victuailles. Au bout de la salle, trois énorme miroirs renvoyaient aux convives le reflet de cette scène ubuesque.
  Les gamins s'attendaient à voir débarquer un adulte fou de rage qui leur dirait qu'ils n'avaient rien à faire ici et qu'ils devaient décamper sur-le-champ.

  La nourriture était simple, mais bonne, avec suffisamment de choix pour satisfaire les goûts de chacun : spaghettis bolognaise, légumes vapeur, pommes de terre au four, omelettes, sans oublier des tranches d'un délicieux pain tiède et croustillant ainsi que des carafes d'une eau pure et fraîche. Le pain avait beau être un peu bourratif, c'était le premier que les Holloway mangeaient depuis plus d'un an.
  Peu à peu, l'ambiance se détendit et l'on commença à lier connaissance. Un puissant brouhaha s'empara de la salle à manger.

  Yukie se retrouva assise à côté de Yui, la jardinière, une fille grande et mince, au caractère enjoué, qui s'exprimait très bien et qui n'hésitait pas à en faire la démonstration entre chaque bouchée.

- En toute honnêteté, je suis plus heureuse aujourd'hui que je ne l'ai jamais été. Bien sûr, ma famille me manque, mais, comme j'étais en pension, je ne les voyais pas tant que ça... Ouh, c'est horrible de dire ça. Non, en fait je les aimais profondément et ils me manquent énormément. Mais Wakatoshi contrôle si bien tout, ici. Un vrai génie. Vénéré comme tel.

- Vénéré ?

- Oh, c'est juste une façon de parler. Va pas croire qu'on se prosterne devant lui les bras chargés d'offrandes... même si, en y réfléchissant bien, ça ne déplairait pas à certains petits. Non, mais il est très intelligent et, dans l'ensemble, la vie est bien meilleure maintenant qu'avant.

- Dis, Yui, tu plaisantes là ? Hein ? Le monde est à l'agonie.

- D'accord, répondit la jardinière. Mais essaie de voir les choses autrement, Yushi.

- Yukie.

- Ah, oui, désolée ! gloussa Yui. C'est juste que j'avais une copine d'école qui s'appelait Yushi. J'ai le nom dans la tête. Elle adorait le cheval. À un point... Elle est probablement morte à l'heure qu'il est. Pauvre chérie, mais où j'en étais ? Ah oui. Le monde. Penses-y deux secondes. Les océans ne sont plus pollués, les poissons ne sont plus surexploités, au contraire, les populations se reconstituent à vitesse grand V. D'ici seulement quelques années, il y aura davantage d'organismes vivants dans la mer que depuis plusieurs siècles. Et ce qui vaut pour les poissons vaut aussi pour les baleines, les dauphins, les tortues et tous les animaux sauvages. Pense aux forêts qui s'étendent, aux arbres qu'on n'abat plus. Le monde revient à son état naturel, celui qu'il n'aurait jamais dû quitter.

- Très bien, répondit Yukie, mais et moi là-dedans ? Je verrais jamais la queue de ces poissons, de ces baleines, pas plus que de ces lions ou de ces tigres d'ailleurs. Tu crois quoi ? Que je vais aller faire un safari photo dans la jungle alors que je peux même pas regarder mes vieux DVD, vu qu'y a pas d'électricité ? L'avenir que tu me décris, c'est le retour au Moyen Âge, quand personne ne savait ce qui se passait au-delà de la place de son village. Tout ce que je connaîtrai jamais, c'est ce petit bout de Tokyo.

- Et alors ? répondit Yui. Du moment que tu es heureuse. Si le monde est heureux, nous aussi on peut l'être. La nature va panser ses plaies. Les dommages que l'homme à causés vont s'effacer et les générations futures en prendrons meilleur soin que celles qui les ont précédées.

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant