ENEMY

Chapitre 59.

  Malgré ses pansements tous neufs, Bokuto se sentait vraiment mal foutu. Il était perclus de courbatures et couvert de bleus, tout le côté gauche de son crâne le lançait, les coupures que Yūji lui avait infligées sur la poitrine le grattaient à devenir fou. Il disparaissait sous divers bandages et sparadraps et il n'y avait pas une partie de son anatomie qui ne portait des traces colorées de désinfectant. Il pria pour que les plaies aient été correctement nettoyées. Il avait vu ce qui était arrivé à Daichi à la suite de sa morsure. Or, quelles étaient les chances que cette charogne de Terushima nettoie minutieusement son arme après s'en être servi ?

  La seule chose qui lui redonnait espoir, c'était qu'après la mort de sa mère, son père s'était révélé étonnement efficace en tant qu'homme au foyer : il avait appris à faire la cuisine, il suivait avec attention les devoirs de son fils, il s'assurait en permanence qu'il était vêtu de propre et, surtout, il l'emmenait régulièrement chez le médecin pour ses rappels de vaccins. Être à jour dans le carnet de santé était même une quasi-obsession chez lui. Toujours est-il que, grâce à lui, Bokuto était pratiquement assuré d'être immunisé contre le tétanos. Une chance, car si les gamins d'ici étaient plutôt bien organisés et équipés d'une infirmerie plus que convenable, ils n'en étaient pas à injecter des doses de sérum antitétanique à leurs patients.

  Azumane lui avait toutefois administré des antibiotiques et il avait fait ce qu'il a pu pour son oreille. Il se demanda ce que ça allait donner. Il avait beau ne jamais avoir été très soucieux de son apparence physique, il ne sautait pas de joie à l'idée de ressembler à un cobaye de Frankenstein. Bon, en même temps, une belle balafre n'était pas pour lui déplaire. Ça posait son homme. Enfin, dans l'immédiat, il était plus proche de la momie que du dur à cuire, avec sa tête enturbannée.
  Mais ça aurait pu être pire. Bien pire.
  Il avait eu de la chance avec Yūji. Ce mec avait la couenne dure. Et pas seulement la couenne, le crâne aussi, ce qui expliquait qu'il ait été un peu lent à la détente. Quoi qu'il en soit, si Bokuto avait raté son coup, ça aurait été la fin, il se serait retrouvé totalement à la merci d'une éventuelle contre-attaque de Yūji.

  Pas de souci. Il avait gagné. C'est tout ce qui comptait.
  Retiré dans la salle de musique, une pièce donnant sur le parc, il regardait en silence la pluie couler sur les carreaux en attendant son dîner. Car il avait à nouveau faim ; sans doute à cause de tout le sang qu'il avait perdu.
  Installé dans un énorme fauteuil, il était vêtu d'un pantalon de survêtement et d'une robe de chambre (il souffrait trop pour enfiler une chemise sur ses pansements). De temps à autre, un gamin du palais venait le féliciter, lui serrer la main avec le secret espoir d'en retirer quelques miettes de gloire.
  Assumant sans peine les charges de son nouveau statut, Bokuto se prêtait au jeu de bonne grâce.
  Bientôt, Yamaguchi entra, portant un plateau sur lequel était posées une tasse de thé et une assiette pleine.

- T'en as mis du temps.

- C'est pas ma faute, répondit Tasashi. Z'étaient au taquet en cuisine.

- Je ne veux pas d'excuses, Yams. J'veux des résultats. Vu ? répondit Bokuto en riant.

- Oui, pardon. Mais j'ai aussi dû chercher l'autre truc.

- T'as trouvé ?

- Ouais, acquiesça Yamaguchi en posant le plateau pour défaire le sac qu'il avait sur le dos.

- Ouvre.

  Il tira sur la fermeture éclaire, découvrant quelques vêtements, une brosse à dents, une torche et trois bombes de peinture.
  Bokuto contempla silencieusement le contenu du sac durant un long moment, puis saisit une bombe.

- C'était ton pote ? demanda Yamaguchi.

- Qui ? Hajime ? Évidemment, répondit Bokuto en lui lançant l'objet. Tiens, garde-moi ça. Et puis les deux autres aussi. Le reste, tu peux jeter.