Chapitre 22.

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  Hinata attendit, perché sur les barreaux de métal. Il n'y avait pas d'issue. Le sommet du puits était muré. Il se demanda combien de temps il pourrait tenir, ainsi appuyé à la paroi, en suspension au-dessus du vide, ses muscles tétanisés tremblaient de manière incontrôlée. Son dos lui faisait un mal de chien.

  Il se cramponna de toutes ses forces, concentré sur ses appuis pour s'empêcher d'imaginer ce que les adultes étaient en train de faire. Chaque fois qu'il les croyait partis, il les entendait à nouveau, qui le pistaient. Fais-toi tout petit, se disait-il sans cesse. Petit et parfaitement immobile. Et pense à des choses réjouissantes. Une belle journée à la plage. Jouer au volley. Tout sauf être coincé sous terre, dans un minuscule réduit, traqué par des adultes qui fouinaient partout autour.

  Il en entendit un non loin. Grognant comme un porc. Ses doigts raclant la maçonnerie. Une bagarre éclata. Ils grognaient, crachaient, se balançaient des torgnoles.
  Mais pourquoi n'allaient-ils pas tout simplement voir ailleurs ?
  Il n'en pouvait plus.
  Eh ! Il n'avait que quinze ans.
  Une épouvantable pensée lui traversa l'esprit. Lâcher le barreau. Laisser tomber. Mettre un terme à tout ça.
  Plus de peur. Plus de souffrance.
  Mais une force supérieure le fit aussitôt serrer plus fort, tendre les jambes, prêtes à cogner si nécessaire. N'était-il pas Hinata le tueur de géant ? Hinata à l'épingle d'argent ?

  Il se rappela l'histoire de la boîte de Pandore qu'il avait lue à l'école. Après que toutes les mauvaises choses sont sorties de la boîte, ne reste que l'Espérance, plus lente à réagir, sur laquelle Pandore referme le couvercle.
  Garder espoir.
  Les croulants allaient finir par partir. Il pourrait redescendre, retrouver sa petite sœur, ses amis, et ils iraient tous se mettre en lieu sûr.

*

Suguru appuya sur la touche « lecture » et s'assit tranquillement dans son fauteuil. Un sourire illumina son visage tandis que les premiers accords de « Dancing Queen », d'Abba, envahissaient le magasin. Abba. Le groupe fétiche de sa mère. Au point qu'elle avait tenu à l'emmener voir Mamma Mia sur scène et, bien que la perspective ne l'ait guère enchanté, en secret, il avait apprécié. Ils avaient également regardé ensemble le DVD un nombre incalculable de fois. Au fond, il y avait pas mal de trucs ringards qu'il aimait bien, mais qu'il devait faire semblant de détester pour ne pas passer pour un bouffon aux yeux des copains, comme Nos années lycée, Harry Potter.
  Ou Abba...

  Eh bien, maintenant, il pouvait écouté ce qui lui chantait, lire ce qui lui plaisait, faire tout ce qu'il voulait sans que quiconque se moque de lui. Il ouvrit une boîte de pêches au sirop et avala une lampée de liquide. Le goût explosa à ses papilles. Il ferma les yeux. Un des plus beaux jours de sa vie.

*

  Daichi avait la bouche sèche. Il avait faim. Dieu ! Ce qu'il avait faim ! Faim et soif. Mais aucune douleur. Il ne sentait plus rien. Il flottait dans une mer tiède, luttant pour garder les yeux ouverts. Le ciel paraissait tantôt noir, tantôt d'un blanc aveuglant.
  Et parfois aussi rouge sang.
  Il s'assoupît un moment et rêva qu'il était devant sa Xbox.

  Quand il s'éveilla, Kōshi était là, qui le berçait dans ses bras. Un bonheur immense le submergea. Il aurait voulu le crier sur les toits, le dire à tout le monde. Le cauchemar était fini. Suga penche sa tête au-dessus de lui en lui adressant le plus beau sourire qui soit. Tout va forcément bien pour qu'il sourie de la sorte. Plus de monstres. D'un geste tendre, il écarte les cheveux qui lui tombent sur le front et y appose la main. Comme il le faisait toujours quand il est malade. Pour voir s'il a chaud. « Je t'aime, mon cœur. » Il lui sourit. Daichi ouvre la bouche pour parler. Il veut dire quelque chose. Mais les mots ont du mal à sortir. Il a la gorge trop sèche.

Ils avaient pansé la blessure et lui avaient entièrement bandé le buste. Le tissu blanc n'avait toutefois pas tardé à se couvrir d'une tache sombre sous l'effet du sang qui sourdait la plaie en continu. Une suite de regards fuyants accompagnait chaque geste de Yukie. Ils savaient tous que l'irrémédiable était en train de se produire : Daichi allait mourrir. Seulement, Yukie n'était pas prête a l'admettre. Ils se détestaient eux-mêmes de le penser, mais ils voulaient partir, abandonner Daichi, tourner le dos à ce funeste sort. C'était pas sûr ici. Les adultes avaient attaqué une fois. Tout laissait à penser qu'ils recommenceraient. Plus longtemps ils resteraient là, plus les risques seraient grands.

  Assise au chevet du mourant, Yukie ne semblait pas pour autant disposée à bouger. Il se faisait tard. Une éternité qu'elle le couvait, en lui susurrant des mots rassurant, en essayant de lui faire boire quelques gouttes d'eau.
  Elle entendait les autres palabrer. Ils complotaient. Elle savait ce qu'ils avaient en tête. Elle baisa les yeux sur son visage, si pâle, si exténué. Ça faisait des heures qu'il n'avait pas esquissé le moindre mouvement.
  Et puis, tout à coup, ses lèvres s'entrouvrirent. Yukie sentit son cœur s'emballer.

- Approchez, cria-t-elle. Vite ! Il va parler !

  Keiji, Shimizu et Testuro se précipitèrent.

- Écoutez, dit Yukie. Je suis sûre qu'il essaie de dire quelque chose. Il faut juste qu'il se repose. S'il peut parler, ça va aller.

  Daichi ouvrit les paupières. Deux yeux marrons, limpides et brillants, éclairèrent son visage.

- Je t'aime, Kōshi, murmura-t-il avec un sourire à Yukie.

  Et il mourut dans ses bras.

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