Chapitre 15.

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  Les adultes descendirent la rue en masse, clopin-clopant, pliés en deux, ramassés sur eux-mêmes. Certains émettaient des sortes de claquement de mâchoires tandis que d'autres bourdonnaient comme des frelons autour d'un pot de miel. Ils tremblaient de tout leur long en agitant la tête de côté. L'un d'eux avait une main en moins. Son avant-bras n'était plus qu'une nécrose verdâtre. Tous étaient affamés et rendus fous par la perspective de la curée. C'était tout ce qui comptait pour eux.

  Hinata évalua qu'il lui restait environ trente secondes avant qu'ils soient sur lui.
  Éperdu, il étudia les barrières. Il savait bien qu'elles étaient inviolables, mais elles étaient conçu pour repousser les adultes et lui était petit... Alors peut-être qu'il avait une chance.

  Il fronça les sourcils en découvrant un petit espace en haut. Les barricades n'avaient pas été fermées correctement. S'il parvenait à grimper jusque là-haut, il pourrait sans doute se faufiler dans l'ouverture. Il bondit dans les airs et attrapa le sommet de la plaque de tôle, s'entaillant les mains sur le rebord.

  Il jeta un rapide coup d'œil à là rue. Ils étaient tout proches.
  Il battit des jambes contre la tôle, faisant couiner ses semelles jusqu'à sentir une légère bosse sous son pied. Il poussa, se tortilla et se hissa tant et si bien qu'il prit bientôt appui sur l'arête. Il avait raison. L'ouverture était suffisante pour passer. Juste - il s'érafla copieusement sur la bordure et agita les pieds derrière lui comme une grenouille -, mais ça passait.

  Il les entendait. Ils avaient fini par arriver. Des mains tentèrent de se refermer sur ses chevilles. Il rua de toutes ses forces et, au prix d'un ultime effort, extirpa sa taille du piège avant de glisser le long de la paroi et de s'affaler telle une poupée de chiffon dans la galerie commerciale.
  Dehors, les adultes geignaient, râlaient et gémissaient. Il pria pour qu'ils ne trouvent pas le moyen d'entrer. D'ordinaire, la barricade était hermétiquement close, mais là, les barres de sécurité n'étaient pas mises et la chaîne non plus. Pourquoi autant de laisser-aller ?

  De terribles pensées lui vinrent. Et s'il s'était fait attaquer pendant qu'il n'était pas là ? Et si tout le monde était mort ?
  Il courut jusqu'au rideau de fer et le trouva fermé. Comme précédemment, l'interstice entre le bas du rideau et le sol ne laissait aucune chance à un adulte de passer.
  Mais il n'était pas Hinata Shōyō pour rien.
  Se tortillant comme un ver, il franchit la barrière, se redressa, puis s'avança avec prudence dans le magasin, ne sachant pas à quoi s'attendre.
  Tout était comme il l'avait laissé - sauf que c'était parfaitement désert.

- Hé ho ! Y a quelqu'un ? appela-t-il, incrédule.

  Il s'enfonça plus avant.
  Dans le coin tout au fond, là où ils avaient installé quelques meubles pour faire un semblant de salon, il aperçut quelqu'un effondré dans un fauteuil. Il restait assis là. Sans rien faire. Il n'était pas mort, pourtant. Il clignait des yeux.
  Il reconnut bientôt Suguru.

- Salut ! dit Hinata en s'approchant. Ça va ou quoi ?

  Suguru opina mollement du bonnet, une quasi méfiance dans le regard.

- Comment t'es rentré ? demanda-t-il d'un ton froid, sans le plus petit signe de joie de voir ainsi Shōyō revenir d'entre les morts.

- Les barricades n'étaient pas bien fermées.

- J'ai dû mal les refermer quand ils sont partis.

- Partis ? Comment ça ? Qui est parti ?

  Daishō lui raconta toute l'histoire.

- Z'ont pas pu me faire ça, bredouilla Hinata en se laissant lourdement tomber sur un canapé, accablé.

- C'est pourtant ce qui s'est passé. Envolés. Tous.

- Sauf toi.

- Ouais. Sauf moi. 

- Pourquoi t'es pas allé avec eux ?

  Suguru haussa les épaules.

- J'suis bien ici.

- Dis, au fait, tu m'as pas entendu, là, dehors ? Je me suis acharné une heure sur la sonnette !

- Comment je pouvais savoir que c'était toi ? Je pensais que c'était encore un de ces croulants.

- Non, c'était moi, bredouilla Shōyō, et il fondit en larmes.

  Trop de fatigue. Trop d'émotions. Tout ce qu'il voulait, c'était s'allonger sur le sofa et dormir trois jours. Mais Daishō le regardait bizarrement. Hinata ne savait plus sur quel pied danser. Il n'était même plus sûr de croire ce que Suguru disait. Faut dire que c'était dur à avaler. Alors, comme ça, un type chelou aux cheveux rouges s'était pointé et il avait emmené tout le monde ?

- Ma petite sœur, se lamenta Hinata à mi-voix. Natsu. J'avais promis de veiller sur elle. Comment je vais faire maintenant ?

- Y a pas si longtemps que ça qu'ils sont partis, répondit Suguru. Si tu traines pas, tu les rattraperas vite fait.

- Tu veux dire, ressortir d'ici ?

- Ouais, acquiesça Daishō en hochant doucement la tête.

  Ses yeux lançaient des éclairs.
  Oubliant sa fatigue, Hinata se leva d'un bond.

- Tu sais s'y a une pompe à vélo, ici ?

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant