Chapitre 38.

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- Ils ont mis kekchose dans la soupe pour te faire dormir.

- Quoi ? Et pourquoi ils auraient fait ça ?

- Et les chaînes, à ton avis, c'est pour quoi ? Parce qu'ils nous retiennent prisonniers, tiens !

Hinata s'était réveillé dans un autre wagon ; et pas de jolis meubles ni de gentils rideaux ou d'agréables tapis dans celui-là. De la paille par terre, un seau au fond pour les toilettes et des portes hermétiquement closes. Pour le reste, une rame de métro normale.
Des menottes qu'il avait aux poignets partait une chaîne assez fine à la main courante du plafond, ce qui lui laissait une légère marge de manœuvre, mais pas de quoi aller bien loin.
Trois autres enfants se trouvaient là. Dont deux dormaient. Un garçon et une fille. À peu près du même âge que Shōyō. Ils avaient l'air propre et bien nourris, mais un peu faibles. Leur peau était d'une extrême pâleur. La troisième était une fille, assez fine, mais avec des jambes toutes maigres, comme atrophiées. Elle était assise sur un siège et paraissait avoir du mal à respirer. Peut-être de l'asthme.
Yachi. D'après ce qu'elle pouvait en juger, elle était là depuis environ trois semaines.

- Pourquoi ils nous retiendraient prisonniers ? demanda Hinata. Ils ont l'air gentils.

- Quand je suis arrivée ici, répondit Yachi, il y avait un autre garçon. Mark, qu'il s'appelait. Il marinait là depuis un bon bout de temps. Il pouvait à peine se lever tant ses muscles avaient fondu. Légumes en boîte et biscuits pour chiens, voilà tout ce qu'ils lui donnaient à manger. Et puis, un matin, il était plus là. Je l'ai plus jamais revu. En revanche, j'ai bien vu Rachel et Nick s'empiffrer de viande... même qu'ensuite ils sortaient de grands sacs-poubelle. Ils nous gardent comme du bétail, je te dis.

- Ils peuvent pas faire ça, protesta Hinata. Y sont pas comme les autres adultes. Y sont pas malades. Y sont pas fous.

- Ça n'empêche qu'ils ont toujours besoin de se nourrir.

- Y peuvent aller en maraude, comme tout le monde...

- Oui, mais c'est de la viande qu'ils veulent, rétorqua Yachi. Un jour j'ai posé la question. Ils ont nié en bloc. Mais quelle autre explication, alors ? Les gens font n'importe quoi pour survivre. C'est pas les exemples qui manquent. J'ai lu des tas d'histoires sur des gens coincés sur une île, ou après un accident d'avion. Ils finissent toujours par devenir anthropophages. Simplement pour survivre.

- C'est faux, s'emporta Hinata. T'as aucune preuve.

- Et ça ? répondit Yachi en levant le menton vers les menottes qu'il avait aux poignets. C'est pas une preuve suffisante, pour toi ?

- Mais Nick m'a sauvé la vie, marmonna Shōyō, au bord des larmes.

- Si le loup attaque la brebis, le berger tue le loup, non ? Ça l'empêche pas de manger la brebis le jour où il a faim.

- J'suis pas une brebis.

- Mais, pour eux, si. Ou un cochon. Ils nous nourrissent. Ils nous donnent à boire. Ils vérifient qu'on n'est pas malades. Ça, surtout, pas malades. C'est pas comestible, un malade. C'est pour ça que je suis encore en vie. Ils attendent de voir si mon angine de poitrine est sérieuse ou pas. Y avait une gamine - jamais pu savoir comment elle s'appelait -, elle arrêtait pas de vomir. Elle était tellement mal qu'elle pouvait même plus parler. Ils l'ont emmenée. J'sais pas ce qu'elle est devenue. À mon sens, ils l'ont filée à bouffer soit aux rats, soit à leur horrible chat obèse. Je les appelle « l'homme et la femme araignées ». Nous, on est les insectes pris dans leur toile. Ils nous gardent jusqu'à ce qu'on soit à point.

Hinata sauta sur place et tira sur sa chaîne.

- Faut qu'on s'échappe !

Yachi éclata d'un rire moqueur.

- Je l'ai déjà fait, se rengorgea Shōyō. Je me suis échappé d'un vrai nid d'adultes, au stade de foot. Je suis Hinata le tueur de géant. J'ai fait tout ce chemin depuis Holloway tout seul. J'vais pas laisser ces andouilles m'avoir. On va tous s'échapper.

- Tu crois que je t'ai attendu ? répondit Yachi en secouant la tête avec tristesse. J'ai réfléchi, tout étudié de fond en comble, mais la vérité, c'est qu'il n'y a aucun moyen de sortir d'ici.

Toute la misère du monde sur les épaules, Hinata se laissa retomber sur un siège. Être arrivé jusque-là pour finir comme ça, c'était terrible. Vraiment terrible.
Mais c'était compter sans Hinata le tueur de géant, qui n'allait certainement pas poser un genou à terre sans combattre.

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant