Chapitre 13.

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Hinata s'était fait aussi petit que possible, roulé en boule dans sa citerne vide, sur le toit d'une maison abandonné, où il partageait le logis avec quelques pigeons en état de décomposition avancée. Ils exhalaient une puanteur qui le prenait à la gorge. Mais c'était un mal pour un bien : avec un peu de chance, non seulement cette odeur masquerait la sienne, mais, en plus, elle éloignerait les adultes. D'ailleurs, jusqu'ici, ça avait plutôt bien marché. Il avait attendu. Aux aguets. Presque toute une nuit qu'il était là, un peu comme s'il était retourné dans le sac.

Les dernières heures avaient passé dans une sorte de brouillard. Il était épuisé. Au stade, il avait été pourchassé dans l'escalier par trois adultes, dont deux en feu qui n'avaient jamais atteint le bas des marches. Quant au troisième, il avait réussi à le semer dans le dédale de coursives et de couloirs qui s'étendaient sous les tribunes. Hélas, il avait si bien réussi son coup qu'il s'était perdu lui-même. À un certain moment, il s'était retrouvé sur la pelouse, sous l'œil médusé de quelques adultes présents dans les gradins.

À force de persévérance, il était néanmoins parvenu à trouver une sortie. Tandis qu'il courait loin de ce lieu maudit, il avait jeté un œil derrière lui et constaté avec plaisir que tout le sommet de l'édifice était en proie aux flammes. Il s'était alors demandé combien de croulants en moins ça faisait et cette pensée l'avait réjoui. Toutefois, sa joie avait été de courte durée, car il n'avait aucune idée de l'endroit où il était, encore moins de la direction qu'il fallait prendre pour retourner à Holloway Road. Il avait donc erré sans fin dans les rues avant de se retrouver, sans trop savoir comment, près d'un parc. Il se souvenait d'avoir entendu les grands parler de cet endroit. Jamais ils ne venaient dans le coin. Trop dangereux. Bourré d'adultes et, qui plus est, plein de baraque détruites par des incendies. Certes, il avait vaguement idée que ce chemin croisait a un moment Holloway. Le problème, c'est qu'il ignorait dans quel sens il fallait le prendre.

Il en était là de ses réflexions quand une autre bande d'adultes lui était tombée dessus. Par chance, il les avait entendus arriver : leurs pas traînants étaient reconnaissables entre mille dans la nuit. Il avait pris la fuite, courant, sautant et bondissant à couvert dans une succession de jardins à l'abandon. Malgré tout, l'un d'eux avait réussi a lui mettre le grappin dessus. Mais Hinata lui avait transpercé la main avec l'épingle au papillon et le croulant l'avait relâcher avec la même précipitation que s'il avait empoigné un charbon de bois incandescent.

Finalement, fatigué de courir, Shōyō s'était introduit dans une maison vide, avait grimpé jusqu'au grenier, où il avait découvert un réservoir d'eau.
Durant ces longues heures dans le noir, il avait trompé l'ennui et l'angoisse en s'imaginant ce que les autres allaient dire quand il rentrerait à Waitrose.

- Shōyō ! T'es vivant !

- Y a qu'à toi que ça peut arriver, un truc pareil !

- T'es un héros !

- Raconte !

- T'en a buté combien ?

Il se les étaient figurés réunis autour de lui, posant mille questions, lui tapotant admirativement le dos, un grand sourire aux lèvres. Les mômes du supermarché étaient sa nouvelle famille. La plus grande et la plus turbulente dont un jeune garçon puisse rêver. Peut-être même que, pour l'occasion, ils sortiraient les réserves secrètes de bonbecs - ce qui lui manquait le plus dans ce nouveau monde.

Ainsi avait-il longtemps oscillé entre rêve et réalité, dans un demi-sommeil, pelotonné au fond de sa cuve aux côtés des pigeons morts.
Tant et si bien qu'entre-temps le jour s'était levé. Et bien levé avec ça, car cela faisait déjà un moment qu'il avait vu, à travers les tuiles qui manquaient au toit, le soleil poindre et embraser le ciel. Quelque part, non loin, un pigeon - vivant celui-là - roucoulait. Ce son le réconforta.

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant