ENEMY

Chapitre 6.

- Ils arrivent ! vociféra Tanaka en se précipitant vers Yukie.

Celle-ci sentit aussitôt son cœur s'emballer, partagée entre le besoin d'avoir Daichi auprès d'elle et la crainte de sa réaction lorsqu'il apprendrait ce qui s'était passé en son absence - et que l'on pouvait résumer par : il lui avait laissé le commandement et elle avait salement foiré.
Toutefois, elle ne voulait rien laisser paraître de cette appréhension devant les autres. Pas la peine d'en rajouter.

- Ouverture des portes, ordonna-t-elle, rassurée que sa voix sonnât encore fort et clair. Qui est au mirador ?

- Daishō.

- Hum, en même temps, pourquoi je pose la question, hein ?

- C'est vrai qu'à ce stade c'est plus un perchoir, ironisa Tanaka. C'est un nid.

- Bon, fais sonner la cloche.

- J'y cours, j'y vole, repondit Ryû en tournant les talons.

Quelques instants plus tard, alors qu'elle se dirigeait vers le tube acoustique, Yukie entendit le tintement de la cloche qui signalait à tous l'ouverture imminente des portes. Après avoir cogné quelques coups sur le bidule afin d'alerter son correspondant, elle appela dans le pavillon :

- Suguru ?

- Ouais.

- Tu les as en vue ?

- Ils y sont presque.

- Tout vas bien ? On peut ouvrir ?

- Ouais.

La cloche s'arrêta. Un puissant sifflet déchira l'air - rien à signaler -, aussitôt suivi du long craquement du rideau de fer, cette vieille barrière de sécurité qui condamnait l'entrée principale du magasin depuis la galerie marchande et que l'on actionnait en tournant une grosse roue d'acier, scellée au mur.
Les bras ballants, Yukie écoutait sans oser regarder. Dès que le rideau serait levé, une équipe traverserait la galerie pour aller ouvrir la barricade, le rempart le plus étanche du camp, qui donnait sur la rue.

C'était Osamu et Atsumu qui l'avaient construite, les premières heures de leur installation ici. Osamu et Atsumu étaient des jumeaux qui se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, excepté leurs couleurs de cheveux. Vêtus d'un pantalon de treillis, d'un tee-shirt noir et d'un pull noir, ils versaient tous les deux dans la mécanique en particulier et dans tout ce qui avait trait à la technique en général. C'est à ce duo qu'on devait quantité de transformation et d'appareillages dans et autour du magasin, au premier rang desquels les tubes acoustiques. Auteurs de l'ouvrage, il leur revenait tout naturellement d'en assurer la mise en œuvre.

Bientôt, une pluie de lumière doucha la galerie, portant avec elle des éclats de voix venant du dehors. Yukie se raidit. Les deux dernières heures avaient été un enfer. Une éternité de frayeur et d'angoisse, qui lui avait laissé un horrible goût dans la bouche.
Tout allait enfin rentrer dans l'ordre. Il était là.

Malgré elle, sa mâchoire se décrocha lorsqu'elle le vit. Y avait eu de la casse. Il était en loques, et pas seulement à cause de la blessure qu'il avait au cou ou du sang coaguler sur ses vêtements. Non, il y avait surtout cette pâleur affligeante et ce voile dans le regard.
Sur le coup de la stupéfaction, il lui fallut un certain temps pour remarquer qu'ils n'étaient plus que quatre.
Oh, non.
Elle aurait voulu se jeter à son cou, le serrer très fort, le consoler, se consoler elle-même, se raccrocher à quelque chose.

Mais ça, il n'en était pas question. Il aurait détesté. Il n'avait aucune idée de ce qu'elle éprouvait pour lui ; et c'était très bien comme ça. Car, contrairement à d'autres filles du groupe, elle n'avait aucun atout à faire valoir. Le visage ovale, quelconque, elle possédait en outre une impossible tignasse d'un châtain terne, qui lui faisait régulièrement des noeuds. Pour Daichi, elle n'était rien d'autre qu'un commandant en second. Point à la ligne. Elle était une dure, une battante, pas une de ces petites choses douces, fragiles, à qui le chef aurait pu s'intéresser.
Ils parlèrent ensemble, prononçant les mêmes mots :