Chapitre 55.

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Ushijima eut beau crier : « Attendez ! », il s'époumonait pour rien. Bokuto et Terushima se percutèrent de plein fouet. Le fracas des armes, lance contre bouclier, couvrit ses paroles.
À l'issue de ce premier assaut, Bokuto jeta discrètement un œil à la lance de son adversaire. Intacte. En revanche, l'extrémité de la sienne était brisée. À trop vouloir l'affûter, il l'avait fragilisée. Et il n'était pas habitué à combattre un adversaire muni d'un bouclier. Qu'à cela ne tienne. Sa lance pouvait encore tuer, pourvu qu'il parvienne à porter un coup.
En attendant, ça faisait un-zéro pour Yūji.

La question du score fut bien vite balayée par une furieuse attaque de son rival qui, de toute évidence, partageait la même idée que Yamamoto : frapper fort d'emblée pour écourter le combat au maximum.
Se ruant sur son adversaire, Yūji déclencha une rapide succession de coups qui forcèrent Bokuto à reculer en parant comme il pouvait avec son bouclier. Il apprit alors à ses dépens que la défense était largement aussi éreintante que l'attaque. Il n'avait pas les muscles pour ça.
Il s'accrocha néanmoins, guettant l'ouverture qui lui permettrait de contre-attaquer. Celle-ci se présenta bientôt. Il se fendit pour toucher le genou, sous le bouclier de Yūji, qui n'eut d'autre choix que de bondir de côté, et perdit ainsi l'élan de son assaut. Profitant de ce léger répit, Bokuto recula hors de portée de son adversaire. Puis il fit le tour du ring en sautillant, détendant ses muscles, dansant souplement d'un pied sur l'autre. Il s'était tétanisé sous la charge de Terushima. S'il voulait retarder l'arrivée des crampes, il fallait qu'il se dégourdisse.
De son côté, Yūji voyait dans ce premier échange la confirmation de sa supériorité.

- T'as reçu ta dose, la majorette ? brailla-t-il en paradant face au public, un sourire carnassier aux lèvres. Ou t'en veux encore ?

En guise de réponse, Bokuto se jeta subitement sur lui en portant un coup de lance. Pris de court, Yūji n'eut que le temps de lever son bouclier pour repousser l'attaque in extremis. Cette parade laissa Bokuto sans protection. Yūji s'engouffra aussitôt dans la brèche. Sa lance décrivit une parabole au sommet de laquelle les trois lames lardèrent la poitrine de son adversaire, déchirant son tee-shirt et faisant jaillir le premier sang. Bokuto jura et pivota sur lui-même. Mais Terushima n'avait pas l'intention d'en rester là. Bien au contraire. Il poursuivit dans son élan par une terrible attaque basse qui atteignit Bokuto au tibia et l'envoya au tapis. Sentant la fin approcher, Yūji ne le lâchait plus. Il multipliait les coups dans le sol, encore et encore, tel un pêcheur malhabile essayant de harponner un poisson dans un tonneau. Bokuto roula dans les graviers, gigota comme un diable pour éviter de se faire embrocher.

Décidément, les choses se passaient mal pour lui. Terushima était bon. Il avait constamment l'avantage. Kōtarō passait pour un crétin à se tortiller ainsi à ses pieds.
Enfin, Yūji commit l'erreur de s'approcher d'un peu trop près et il lui décocha un violent coup dans les chevilles avec le tranchant de son bouclier. Lui aussi mordit la poussière, au sens propre du terme, puisqu'il s'écroula tête la première sur le gravier. Tous deux se relevèrent avec difficulté. Le pansement de Yūji s'était défait. Du sang coulait de son nez - ce qu'il n'avait pas l'air de le gêner plus que ça. S'ensuivit un étrange round d'observation, les deux combattants, transpirants et haletants, tournant l'un autour de l'autre sans qu'aucun ne prenne le risque de lancer une attaque. Mais, du fond de ses orbites, les prunelles de Yūji scintillaient d'un éclair vicieux. Il jouissait. Il avait esquinté Bokuto et tous les deux le savaient.

Un silence de mort plombait l'assistance, absorbée par le combat. Chaque camp priait pour que son champion l'emporte.
Le tee-shirt de Bokuto était couvert de sang. En face, Yūji avait beau boiter légèrement et avoir du sang plein la bouche, il n'avait presque pas été touché, puisque Bokuto s'était surtout concentré sur sa défense.
Débuta alors un long échange de feintes. L'un et l'autre lançaient des attaques trop prudentes pour déjouer les parades de l'adversaire. Leurs ombres difformes se reflétaient sur les murs du palais, telles deux marionnettes interprétant quelque parole guerrière. Ils prenaient la mesure l'un de l'autre, étudiaient le style adverse, jaugeaient les forces et les points faibles. Leur désir d'en finir rapidement avait fait long feu.

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