Chapitre 23.

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  Ils avaient fait une razzia dans les immeubles et les jardins environnants à la recherche de tout ce qui pouvait être brûler - bois mort, tables, chaises, portes, palettes, planchers d'échafaudage, pneus... - et l'avaient entassé autour de la BMW, qui ne leur était plus d'aucune utilité.
  À son volant, à l'issue de la bataille, Kuroo avait poursuivi les derniers adultes jusqu'à ce que, faute d'essence, le moteur s'arrête.

  Quand ils eurent constitué un bûcher de bonne taille, ils emballèrent Daichi et les autres gamins tombés au champ d'honneur dans des draps et s'assurèrent que leurs visages étaient bien cachés. Puis ils hissèrent les corps au sommet du tas.
  Yukie n'en avait pas démordu. Pas question de les laisser là se faire bouffer. Daichi et les autres méritaient des funérailles de héros.

  Les cadavres d'adultes, ils les abandonnèrent là où ils étaient.
  Sur un mur, non loin, Hajime bomba un message :

  ICI EST TOMBÉ SAWAMURA DAICHI. JOUR ET DATE INCONNUS, MAIS SON SOUVENIR NOUS ACCOMPAGNERA TOUJOURS. IL ÉTAIT LE PLUS BRAVE D'ENTRE NOUS.

  Puis Kenma et Tanaka lui donnèrent les noms des autres défunts et les ajouta à son épitaphe.
  Quand ils furent prêts, Yukie craqua une allumette et s'approcha de la voiture.
  Soudain, Iwaizumi l'arrêta.

- J'peux dire quelque chose ? Avant de partir ?

- Ok, répondit Kuroo, mais fait-là courte.

- T'inquiète.

  Et il prit une profonde inspiration avant de dévisager un instant son auditoire.

- Daichi m'a causé ce matin. Pour m'aider à avancer. Maintenant, c'est mon tour. On a tous perdu quelqu'un qu'on aimait aujourd'hui. Mais, au bout du compte, c'est nous qui avons gagné. On les a battus. J'allais écrire un autre truc là-bas. J'allais écrire : « Daichi est là. » Car il y est. Par sa volonté de tout faire pour accéder à une vie meilleure. L'autre enseignement que je veux garder de lui, c'est que nous autres gamins, on est tous dans le même bateau, tous du même bord. L'ennemi, c'est les adultes. Ce qui est arrivé à Daichi était un accident. Je ne veux voir personne accuser Kita de ce qui s'est passé. On marche ensemble, on survit ensemble.

- Ouais, super speech, le félicita Bokuto, non sans une pointe de sarcasme. Maintenant, vas-y, allume !

  Yukie fit quelques pas en avant et, très vite, des flammes de plusieurs mètres de haut s'élevèrent dans les airs. Quelque chose par terre attira son regard. La batte de Daichi. Elle se baissa pour la ramasser et la sentit peser au creux de sa main. C'était tout ce qui restait de lui.
  Dorénavant, elle était à elle.

  Une fois que les gamins furent certains que le feu ne s'éteindrait pas, ils se mirent en route. Ils ne voulaient pas assister à la crémation. Ils firent leurs adieux et s'éloignèrent au pas, en ordre de bataille, laissant le bûcher derrière eux.

  Le programme n'avait pas changé. L'idée était toujours d'essayer de rallier le palais ce soir, même s'il était tard et que le ciel s'assombrissait. Ils n'avaient guère le choix. Non seulement il y avait l'insoluble question du refuge (aucun endroit à Camden n'était susceptible d'accueillir autant de monde), mais, en plus, il y avait la menace de cet immense incendie qui se propageait rapidement depuis Kentish Town, réduisant en cendres tout ce qui osait se dresser sur son passage et augmentant d'autant l'opacité du ciel.

  Kita et les archers menaient le détachement aux côtés de Kuroo et de Tendō. Ensuite venaient les commandos, Yamamoto, Bokuto, Iwaizumi et les autres. Comme toujours, Akaashi et les tirailleurs fermaient la marche. Lev avait repris sa position sur le flanc gauche. Seule Yukie avait dérogé à la règle, confiant le commandement à Tanaka pour se joindre aux petits, au centre de la colonne. Elle cherchait auprès d'eux un peu de réconfort, voulait profiter de l'affection et des attentions dont ils étaient capables. Contrairement aux grands, eux ne craignaient pas d'exprimer leurs émotions. Ils la serrèrent dans leurs bras, lui prirent la main, lui glissèrent des mots gentils, lui confièrent à quel point Daichi allait leur manquer. Puis, spontanément, ils échangèrent des histoires à son propos, énumérèrent ses exploits. Yukie faillit fondre en larmes quand le petit Tsutomu lui confia son chien, Godzilla, pour qu'elle le porte. La petite boule de poils douce et chaude somnolait. Il trouva néanmoins la force de lui lécher le visage avant de se pelotonner dans ses bras.

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant