ENEMY

Chapitre 64.

Assis sur son lit, Kunimi, comme à son habitude, tripotait un morceau de pâte à modeler, le faisant adroitement passer d'une forme à une autre. À un moment c'était un cheval, le suivant une maison, puis un arbre, un petit bonhomme, une bombe. Entre ses doigts, la pâte à modeler devenait tous les jouets imaginables. Parfois, il divisait la boule pour faire deux figures, voire plus. Il n'était jamais seul avec son morceau de pâte. Même qu'elle lui répondait avec les voix des personnages qu'il inventait. Ainsi pouvait-il rester des heures, totalement immergé dans un monde à lui.

Il était tard. Autour de lui, les gamins s'apprêtaient à aller se coucher. Malgré l'imposant volume de la salle de bal, ça sentait les vêtements sales, les pieds pas lavés et les haleines chargées. Kunimi essaya de faire abstraction de l'odeur et se concentra sur son jeu. Un petit aboiement attira son attention. Il tourna la tête vers le lit voisin où une petite fille et Natsu s'amusaient avec Godzilla. Le chiot était fatigué. Kunimi voyait bien qu'il avait envie de dormir. Irrité, il répondait à leurs sollicitations par de petits coups de dents. Mais les filles ne savaient pas s'arrêter. Une fois qu'il serait plus grand, elles auraient intérêt à faire attention si elles ne voulaient pas se faire arracher une main.

Kunimi regarda passer Akaashi. Il faisait le décompte des gamins à voix haute. Kunimi le suivit des yeux tandis qu'il descendait la travée. Après avoir rejoint Kenma, qui recensait ses troupes lui aussi, ils échangèrent discrètement quelques mots et ce dernier hocha la tête. Ils semblaient prendre leur tâche très au sérieux. Kunimi aurait pu leur épargner cette peine et leur dire avec précision combien de gamins se trouvaient dans la pièce, sans faire le calcul, juste en regardant. Car non seulement il était doué pour les chiffres, mais, en plus, il avait une mémoire visuelle hors pair. Son cerveau ne marchait pas comme celui des autres. Il l'avait toujours su. Il lui aurait suffi de jeter un œil à la pièce pour affirmer sans craintes de se tromper que tout le monde était là - quarante-huit gamins en tout. Tous sauf Yukie, Kuroo, Lev et Bokuto.
Kunimi baissa les yeux sur ses mains. Il avait modelé le chiffre quarante-huit sans même s'en rendre compte. Avant que quiconque s'en aperçoive, il écrasa les spaghettis au creux de sa main et malaxa la pâte entre ses doigts.
Si Kunimi ne disait jamais rien, il ne ratait jamais rien non plus. Et là, indéniablement, il se passait quelque chose. Plusieurs grands, les plus importants, avaient multiplié les messes basses toute la soirée. Akaashi et Bokuto, Kenma et Lev.
Il allait se passer quelque chose ce soir. Kunimi essaya de refouler l'anxiété qui le gagnait. Peu à peu, la boule de pâte prit la forme d'un visage barré d'un large sourire.
Kunimi regarda la figure.

- N'aie pas peur, dit la trombine.

Des cris résonnèrent à l'extérieur, accompagnés de bruits de course.
Kunimi se raidit. Du plat de la main, il réduisit le visage en une masse informe. Le seul signe tangible de son inquiétude car son expression ne trahissait rien de son effroi. Cela faisait si longtemps qu'il vivait sur la brèche, dans la crainte constante d'un événement affreux, qu'il était comme un petit animal sauvage. Toujours sur le qui-vive. Tous les sens en alerte.
Le bruit de pas s'éloigna. Akaashi et Kenma échangèrent un regard. Le calme revint.
Le visage souriant avait à nouveau éclos de la pâte à modeler.

- Tout va bien. Le danger est passé.