ENEMY

Chapitre 17.

- Quand je vais partir, t'auras intérêt à bien fermer les portes, dit Hinata.

- Oui, oui, t'inquiète, je ferai attention, répondit Suguru. C'est juste que je savais pas trop comment m'y prendre. J'aurais dû mieux regarder comment faisaient les jumeaux.

  Ils avaient trouvé une pompe ainsi que deux autres vélos au fond d'une aire de chargement. Hinata se souvenait vaguement d'avoir vu les grands en faire, avant que ça ne devienne trop dangereux de se trimballer dans les rues. Mais ces engins étaient trop hauts pour lui. Il allait donc devoir s'en tenir à celui qui lui était tombé du ciel.
  Ils étaient ensuite montés sur le balcon pour voir ce que les adultes faisaient en bas. L'essentiel de leur activité se résumait à taper sur le portail sans trop y croire et à y balancer divers objets. Un croulant plus entreprenant que les autres essayait d'ouvrir en faisant levier avec un long bâton. Une querelle avait éclaté. Une mère s'était effondrée. Inconsciente ou morte. Et les adultes s'étaient dispersés. Le vélo de Shōyō était là où il l'avait laissé. Intact.

  Suguru avait gardé la porte afin de permettre à Hinata de le ramener à l'intérieur. Ensuite, celui-ci avait regonflé les pneus, collé quelques rustines et même redressé une roue voilée. De toute évidence, il n'allait pas rester. Maintenant qu'il le savait, Daishō se comportait de manière moins étrange - même si l'entrain qu'il montrait à l'aider pouvait paraître suspect. Comme s'il était pressé de le voir partir.

  Shōyō semblait éteint. Pourtant, au fond de lui, il avait parfaitement conscience qu'il devait se mettre en route au plus vite s'il voulait espérer retrouver un jour les autres. En effet, jamais il ne serait capable de rejoindre le palais par ses propres moyens.
  Il avala rapidement quelques biscuits rassis, but beaucoup d'eau, puis poussa le vélo à l'extérieur. Suguru faisait les cent pas dans l'embrasure de la porte, jetant des regards inquiets de part et d'autre de la rue. À l'évidence, il ne voulait pas mettre un pied dehors.

  Hinata sauta en selle, vérifia nerveusement que la voie était libre, et démarra.
  Enfin, le vélo filait droit. Il gaza jusqu'au carrefour, où il s'engouffra dans Camden Road. Rapidement, il se retrouva au pied de la côte qui longeait la prison. Un sacré raidillon, au milieu duquel il ressentit le besoin de s'arrêter pour pousser - sans cesser de guetter la présence éventuelle d'adultes dans les parages. Une fois au sommet de la bosse, ça descendait jusqu'à Camden.
  Il remonta en selle et jeta un dernier regard derrière lui.
Adieu.

  Quelques secondes plus tard, il volait au-dessus du bitume, slalomant entre les épaves de voitures qui jalonnaient la chaussée. Voilà longtemps qu'ils avaient renoncé à inspecter les voitures. La plupart étaient à sec, sans compter que personne ne savait comment les faire démarrer sans les clés et encore moins comment débloquer le Neiman. En outre, à quoi bon une voiture quand presque toutes les routes étaient bloquées par des carcasses calcinées ?

  Soudain, Hinata repéra un groupe de gens devant lui. Serpentant entre les voitures, ils descendaient la pente comme lui. Les nombreuses déconvenues de la journée l'incitèrent à rester prudent et à ne pas crier précipitamment victoire. Grand bien lui en prit car, en approchant, il s'aperçut qu'il s'agissait d'adultes qui marchaient vers Camden de leur pas gauche et mal assuré.
  Il allait devoir les contourner. Il bifurqua et prit une rue à droite, dans un quartier qu'il ne connaissait pas - et pour cause puisque ses parents lui interdisaient de faire du vélo dans la rue. « Trop dangereux », disaient-ils. Moralité, jusqu'ici, il ne s'était jamais aventuré hors du parc, sinon a l'occasion de rares virées dans la forêt avec ses amis.

  Il se persuada qu'il retrouverait sans problème son chemin. Tant qu'il se cantonnait à descendre, il finirait forcément par atteindre Camden à un moment ou un autre.
  Malgré tout, il avait un mauvais pressentiment.
Quelque chose clochait. Mais quoi ?
  Quelque chose qui concernait les adultes.
  Non, il n'allait quand même pas se soucier d'eux ! Ils ne l'avaient pas vu. Il allait les éviter.
  Ils n'étaient pas à ses trousses...
  Mais après quoi ils couraient, alors ?