Chapitre 44.

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Assis sur les marches du palais, le menton posé sur les genoux, Hajime demeurait obstinément immobile sous le déluge.
Il avait un mauvais pressentiment.
Et si quelqu'un était blessé ? Et si Yukie était blessée et qu'il ne soit pas là pour l'aider ?
Ils avaient traversé tant d'épreuves ensemble. Sa place était au côté de ses amis. Yukie avait besoin de lui. Avec des barjos tel que Bokuto et Yamamoto, on pouvait s'attendre à tout.
Sans parler de Satori. Quelle entourloupe ce clown cachait-il encore dans sa manche ?

Iwaizumi se redressa.
Un éclair déchira le ciel. Un interminable grondement s'acheva sur un énorme boum. La bande-son d'une foutue Troisième Guerre mondiale.
Il se leva et s'élança vers le parc. Au pas de course.

Des coups - des coups - des coups - des coups...
C'était parti.
Bokuto se rua sur Kazuma en esquivant sans difficulté un coup de machette qui manquait de conviction. Dans le même élan, il répondit en enfonçant violemment le talon de son manche de pioche dans la panse de son adversaire, qui se plia en deux. Bokuto en profita pour lui asséner un grand coup de genou au visage. Le pirate avait son compte. Kōtarō poursuivit son assaut et, rapidement, deux autres squatteurs allèrent au tapis.
Enhardi par ce morceau de bravoure, Taichi et son équipe chargèrent avec des hurlements. Saisissant le poteau déjà branlant d'une cahute, ils le secouèrent jusqu'à ce que l'ensemble vacille et s'effondre dans une immense gerbe d'eau.
Ils poussèrent un cri triomphal.

- Arrêtez ! hurla encore Yukie.

Sa voix se perdit dans le chaos général qui s'était emparé du camp. Telles des guêpes en colère, des gamins sortaient de partout. Le détachement du palais se lança à corps perdu dans l'affrontement. Une bagarre générale s'engagea sur place. Les coups pleuvaient. Les gamins cognaient, s'empoignaient. Les squatteurs n'étaient pas tous armés, loin de là. Bokuto et ses guerriers se concentraient sur ceux qui l'étaient afin d'éviter autant que possible toute effusion de sang.

Iwaizumi courait à toutes jambes dans l'allée longeant le parc quand lui parvinrent les premiers échos de l'échauffourée.

- Merde !

Il chercha des yeux un objet pouvait lui servir d'arme. Il n'avait rien sur lui.

- Imbécile !

Un gamin qu'il ne connaissait pas sortit de l'ancien café à son approche.

- Hé, tu fais qu... ?

Hajime le heurta de plein fouet. Le môme valdingua. Iwa augmenta encore l'allure.

Immobile, Kuroo observait la scène sans réagir.

- Faut arrêter ça, le secoua Yukie.

- Comment ?

- J'sais pas, moi, prends les choses en main ! Fais quelque chose !

Avant qu'ils aient eu l'occasion d'en dire davantage, un groupe de squatteurs se précipita vers eux et Kuroo n'eut d'autre choix que de jouer du manche de pioche pour se défendre. Akaashi et ses artilleurs se mirent aussitôt de la partie. Une grêle de petits cailloux cribla les jambes des assaillants, qui reculèrent bien vite en trainant la patte et en les inondant d'injures.
Taichi et les siens allaient de cabane en cabane, détruisant tout sur leur passage. Surgie d'un des réduits qu'ils secouaient, une grande fille beugla à pleins poumons :

- Mais qu'est-ce que vous foutez ? Y a des petits là-dedans !

Taichi marqua un temps d'arrêt. Un vagissement de bébé résonna au l'intérieur de la cahute qui tanguait dangereusement sur ses poteaux près de basculer. Brutalement, les combattants arrêtèrent leur geste et tentèrent de retenir la cabane.

- Vous êtes cons ou quoi ! éructa Kuroo en se précipitant à l'intérieur.

Il en sortit deux secondes plus tard, portant dans les bras un bébé, qu'il balança presque à la fille avant de retourner illico à l'intérieur et d'en extraire un second bambin. Sourd aux cris de la fille disant qu'il ne restait personne, il tourna les talons et disparut une troisième fois à l'intérieur.
À peine était-il entré que la cabane s'effondra dans un horrible fracas. Aussitôt, Taichi et son équipe se mirent à déblayer avec frénésie l'amas de contreplaqués, de planches, de plastique et de tôles ondulées.
Tandis que tout le monde se concentrait sur Kuroo, Yukie retourna auprès de Yūji qui reprenait ses esprits. Sa lance meurtrière pendait mollement au bout de son bras. Il essayait avec peine de s'assoir. Si elle arrivait à le raisonner, peut-être pourrait-on mettre un terme à cette folie.

Elle avait emporté la batte de Daichi dans son sac à dos - en espérant qu'elle n'aurait pas à s'en servir -, mais, là, elle n'avait plus le choix. Au moment même où elle passait le bras au dessus de son épaule, elle écopa d'un terrible coup au flanc qui lui coupa net la respiration et lui donna l'impression que ses côtes s'arrondissaient dans le mauvais sens. Elle tituba, la vue trouble. Un autre assaut suivit. Elle pivota pour parer. Le coup la cueillit au bras, anéantissant toute sensation jusqu'au bout de ses doigts.
Trois squatteurs armés de battes de base-ball lui faisaient face. L'un d'eux lui porte un nouveau coup. Elle se plia en deux pour l'esquiver. Une douleur insoutenable lui arracha un grognement sourd. Durant un instant, elle crut qu'elle allait s'évanouir. Jamais elle ne parviendrait à éviter le suivant.

Soudain, les trois squatteurs dégringolèrent comme des quilles un soir de compétition de bowling, avec Hajime dans le rôle de la boule.
Il avait foncé dans le tas tête baissé, sans faire de quartier. Alors que les trois morveux faisaient ce qu'ils pouvaient pour se relever, il ramassa une batte tomber au sol et, dans un déchaînement de violence, les roua de coups.
Pliée en deux, luttant contre la douleur, Yukie tentait tant bien que mal de reprendre son souffle.

La lutte entre Iwaizumi et les trois squatteurs ne semblait pas devoir s'éterniser. Un des gamins partit en courant sans demander son reste, un autre s'effondra, inanimé. Iwa s'apprêtait à achever le troisième quand, subitement, il s'arrêta dans son geste et poussa un cri. Ses jambes se dérobèrent sous lui. Il tomba assis par terre dans le gravier, les yeux perdus dans le vague. Une bulle de salive se forma sur sa bouche pendant qu'une horrible tache de sang grossissait à vue d'œil dans son dos.
Terushima. Depuis le sol, il avait planté son horrible lance à trois lames dans le dos d'Hajime.
Yukie poussa un cri de bête sauvage.

- Non !

Toute douleur oubliée, animée d'une force surhumaine attisée par la rage et le désespoir, elle réagit à la vitesse de l'éclair, lançant son bras de toutes ses forces. Dans une traînée argentée, la batte de Daichi cingla l'air et s'abattît sur le bois de la lance de Yūji, la lui arrachant des mains.
Il leva les yeux vers elle, surpris. Yukie brandit la batte au-dessus de sa tête.

- Dis-leur d'arrêter ! cria-t-elle. Maintenant !

- Dans tes rêves, pouffiasse.

La batte lui écrabouilla le nez au milieu de la joue. Yūji poussa un terrible hurlement. Le tenant en respect sous sa semelle, Yukie ramassa sa lance.

- Maintenant, tu vas leur dire d'arrêter ! beugla-t-elle en pressant les trois lames sur sa gorge. Et t'avise plus jamais de m'appeler pouffiasse, sac à merde.

Terushima baragouina quelque chose qui se perdit dans les glouglous sanguinolents de ses cloisons nasales déchirées.
Détournent un instant les yeux, Yukie vit Kazuma et une poignée de durs aux prises avec Bokuto et ses meilleurs commandos.

- Arrêtez tous ! hurla-t-elle.

Les ados s'immobilisèrent au milieu de leur geste. Kazuma n'en revenait pas. Il était hypnotisé par le visage ensanglanté de Yūji et par Yukie au dessus de lui, qui tenait sa lance.
Qu'est-ce qu'elle lui avait fait ?

- Arrêtez ou je le tue ! menaça-t-elle. Je vous jure que je le ferai ! Baissez vos armes ! Maintenant !

- Si j'étais toi, je ferais ce qu'elle dit, commenta Bokuto.

- Ok, répondit Kazuma. Baissez vos armes, vous autres !

Ensemble, les squatteurs abandonnèrent le combat.

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