ENEMY

Chapitre 48.

  Plié en deux, presque à quatre pattes, Tobio galopa à l'autre bout de la rame, Hinata sur ses talons. Il avait brisé les vitres des deux portières. Hinata évalua l'espace entre les deux voitures et il lui sembla qu'il aurait aussi bien pu se laisser glisser jusqu'à la voie ici même. Il croisa le regard de Kageyama. Levant les yeux vers Yachi, celui-ci secoua la tête.
  Si Shōyō et lui pouvaient l'envisager, pour elle, c'était mission impossible. Tobio poursuivit donc selon ses plans, posant son carton sur les bords des fenêtres fracturées avant de se faufiler dans l'ouverture.
  À peine arrivé de l'autre côté, il se retourna et invita les deux autres à l'imiter.

  Hinata aida Yachi à remonter la rame. Derrière eux Claire et Jason pleuraient. Yachi respirait difficilement. D'horribles sifflements accompagnaient chacune de ses respirations. Cahin-caha, ils arrivèrent à la portière. Yachi prit appui sur le carton.
  Il leur fallut un temps fou pour passer de l'autre côté. Courageuse, elle ne se plaignait pas, alors que Shōyō voyait bien que ses bronches comme ses jambes atrophiées par l'inactivité la mettaient au supplice. Elle serra les dents et, grâce aux efforts conjugués de Tobio qui tirait et de Shōyō qui poussait, elle finit par passer au travers des deux fenêtres et prit pied dans la rame suivante.
  Bondissant à sa suite, Hinata franchit sans difficulté l'obstacle. Il était si absorbé par le fait d'aider Yachi que c'est tout juste s'il avait conscience de ses propres douleurs. Il n'avait pas posé le pied par terre que Tobio reprenait sa course en avant.

   Ce wagon-ci, que Shōyō avait entraperçu lorsque Nick l'avait accompagné aux toilettes, servait de débarras. Tout l'improbable bric-à-brac que leurs ravisseurs avaient récupéré dans les galeries du métro était entreposé là. Des tables et des chaises frappées d'un logo d'une marque, des outils, des rouleaux de fil électrique, des caisses pleines de bouts de métal ou de morceaux de bois, des piles de magazines et de vieux journaux...
  Les enfants enfilèrent vite fait l'allée centrale, traînant pratiquement Yachi derrière eux jusqu'à la porte suivante, où d'autres éclats de verre étaient répandus par terre. Kageyama les balaya du pied avant de poser à nouveau le carton sur les bords coupants. Puis ils répétèrent la même opération que précédemment. La manœuvre se révéla encore plus difficile qu'une minute plus tôt.
  Yachi était épuisée. Plus haletante que jamais.

  Hinata se revit en train d'aider sa mère à remettre sa couette fraîchement lavée dans sa housse. Toute molle et gonflée, l'ouate refusait d'aller là où il voulait. C'était pareil avec le corps de Yachi qu'il n'arrivait pas à faire passer dans l'étroite ouverture.
  Harassé, Hinata transpirait à grosse gouttes quand, enfin, elle s'effondra de l'autre côté avec un bruit sourd. Refusant de s'arrêter un seul instant, il sauta à sa suite et escalada l'obstacle.
  Ils installèrent Yachi sur un siège pour qu'elle reprenne son souffle. Hinata en profita pour jeter un œil autour de lui. Ce wagon contenait les réserves de nourriture de Rachel et Nick, essentiellement des boîtes de conserve, mais aussi des sachets de fruits et légumes, des puddings, des briques de jus, des soupes lyophilisées... Il y avait même un tas à part pour la nourriture pour chiens et chats.

- Où est-ce qu'ils ont eu tout ça ? demanda Hinata.

- Y a des magasins dans certaines stations. Même des salles de gym, répondit Tobio, des clubs, tout ce que tu veux. Si tu commençais à farfouiller là-dedans, tu serais surpris de ce que tu pourrais ramasser. Parole.

- Y a tellement de trucs, marmonna Shōyō. Pourquoi nous boulotter quand on a tout ça... ? Et si vous aviez tout faux, vous deux, qu'ils ne voulaient pas nous manger ?

- Avec eux, c'est Mondiale prévoyance, répondit Tobio. Ils voient loin. Font rien au hasard. L'idée, c'était de vous engraisser en vous filant à bouffer tout ce qu'y voulaient pas et de vous croquer quand vous auriez été bien dodus.