Chapitre 4.

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  Daishō était dans le nid d'aigle, son poste de prédilection, sur le toit. Il n'attendait qu'une chose : que les nuits soient assez douces pour y dormir. Il adorait cet endroit. De là-haut, on avait tout Holloway à ses pieds, comme sur Google Earth. C'étaient les mômes qui avaient construit de toutes pièces ce mirador, autour de la coupole qui s'élevait à la clé de Waitrose. Ils avaient utilisé tout un fatras de tubes d'échafaudage, de planches, de cordes et de divers matériaux récupérés à droite à gauche. On y accédait depuis le patio, une cour intérieure de plain-pied avec le deuxième étage, où une échelle permettait de grimper sur le toit en pente du supermarché. Ensuite, il n'y avait plus qu'à crapahuter sur les tuiles pour atteindre le nid d'aigle ou une petite tour, légèrement en contrebas, qu'ils avaient abrité à la lisière de la terrasse.

  Grâce à un système de tubes acoustiques similaire à ceux qu'utilisaient les marins d'antan pour répercuter les ordres de la timonerie à la salle des machines, les vigies pouvaient communiquer avec l'équipe en place au patio, qui, elle-même, était reliée a d'autre parties du supermarché. Dans les faits, il s'agissait d'un vulgaire réseau de tubes métalliques courant dans les gaines d'aération et les conduits électriques du bâtiment - ce qui n'empêchait pas le procédé, pour rudimentaire qu'il fut, d'être d'une étonnante efficacité.

  Suguru se sentait en sécurité là-haut. Avec Tanaka, il faisait partie des guetteurs attitrés. Cette position leur valait d'être les premiers avertis si des adultes venaient à rôder dans le coin. Du haut de ce mirador, le seul angle mort était le parking derrière le supermarché, là où Hinata avait été enlevé. Jamais les petits n'auraient dû se trouver là sans quelqu'un pour les surveiller. Daishō s'en voulait terriblement de ne pas avoir flairé l'approche des adultes, dans les jardins alentours. Aussi, depuis l'attaque, redoublait-il de vigilance. Et, de fait, il en avait repéré plein. Sur un présentoir conçu à cet effet, il gardait une pile de munition prêtes a l'emploi - surtout des briques et des pierres destinées à être jetées du toit sur un éventuel assaillant. D'ailleurs, ça le démangeait d'en balancer quelques-unes à l'adulte qui aurait été assez stupide pour s'approcher un peu trop près.

  Mais, présentement, s'il était de quart à la vigie, c'est qu'il guettait le retour de Daichi et de son peloton de maraude. Car ils avaient bien besoin de lui. Tout le monde était sur les dents depuis que Shōyō avait été enlevé. Or, seul Daichi serait capable de ramener le calme dans le groupe, de rassurer les plus jeunes, de redonner espoir aux plus éplorés.

  Ayant réussi à convaincre les autres qu'il leur serait dix fois plus utile sur le toit, Suguru ne partait jamais en maraude. Du reste, cela faisait presque un an qu'il n'était pas sorti de Waitrose. C'est-à-dire depuis qu'ils avaient pris possession du lieu. C'était comme si une corde invisible l'enchaînait là, physiquement. Les rues, il ne les parcourais plus que dans son imagination, tel un personnage de jeu vidéo déambulant dans les différents niveaux d'un programme informatique. En revanche, dans la vraie vie, il était hors de question qu'il s'y aventure. Dedans, c'était sûr. Sans compter qu'ici, il avait tout à disposition. Il était heureux. Presque plus heureux qu'avant le désastre.

  La seule chose qui lui manquait, c'était de pouvoir se retrouver seul, sans tous les gamins qui couraient partout en braillant. La paix. Le silence. Oui, ça, ça aurait été le bonheur suprême. Waitrose pour lui tout seul. Mais fallait pas rêver. Et puis, le nid d'aigle, c'était déjà pas mal.

  L'œil rivé à ses jumelles, il parcourut Holloway Road du regard.

  - Amène-toi, Daichi. On a besoin de toi, là...

ENEMYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant