Les Rivières aux Poignets

Un vieil homme

J'ai croisé un vieil homme qui portait mon regard
Aux matins à genoux et debout jusqu'au soir
Et ses bras qui tombaient à raser le trottoir
Ramassant les cailloux de sa morte mémoire

J'ai croisé un vieil homme aux chaussures trouées
Au pantalon traînant dans des flaques de pluie
J'ai croisé un vieil homme aux souvenirs trempés
Dans des flaques de sel sur le sol de l'oubli

J'ai croisé un vieil homme de quinze ans ou moins
Qui tenait en son coeur l'amour et le chagrin
Qui tenait en ses mains les mains du monde entier
Adossé contre un mur au feuillage d'été

J'ai croisé un vieil homme beaucoup moins vieux que moi
Qui tenait des propos que je n'comprenais pas
Ça parlait de la vie, et du deuil, et de nous
Ça parlait de la vie, et puis un peu de vous

J'ai croisé un vieil homme aux allures de fantôme
Au profond de mes nuits quand la lune est trop ronde
J'ai croisé un vieil homme, ce n'était qu'un atome
Nous ne sommes qu'un tout pour s'inventer un monde

J'ai croisé un vieil homme qui ne m'a reconnu
Les couleurs se mélangent et dessinent le noir
J'ai croisé un vieil homme qu'avait déjà trop bu
Il titube à mon œil qui ne sait plus le voir

J'ai croisé un vieil homme au pied d'un réverbère
Il mesurait trois pommes et savait déjà tout
Ces lumières ne sont qu'une image d'hier
Pour cacher les étoiles qui nous rendent fou

J'ai croisé un vieil homme aux souvenirs brumeux
Aux nuages épais dans le fond de ses yeux
À savoir s'il est fou, ou bien si c'est le monde
À savoir s'il est tout, ou rien qu'une seconde

J'ai croisé un vieil homme, et je l'ai approché
Sans rien dire il m'a dit des histoires passées
J'ai croisé un vieil homme, je l'ai pris dans mes bras
Et je l'ai rassuré, « tout ira, tu verras... »

J'ai croisé un vieil homme, mais ce n'était que moi
À courber les épaules pour un autre que moi
À lui prendre la main pour marcher dans le blanc
Pour passer l'océan des passages d'enfants