IV.

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« Puisque tu viens d'en haut, déesse,
« Ange, peut-être le sais-tu ?
« Ô Psyché ! quelle est la sagesse ?
« Ô Psyché ! quelle est la vertu ?

[...]

Posant sur mon front, sous la nue,
Ses ailes qu'on ne peut briser,
Entre lesquelles elle est nue,
Psyché m'a dit : C'est le baiser.

Les chansons des rues et des bois (1865), extrait de « Psychée », Victor Hugo.


† † †


La célèbre Sonate du Diable de Giuseppe Tartini me tira de mon sommeil. Dommage, je faisais un cauchemar d'enfer.

Le bout d'une queue duveteuse vint chatouiller mon nez.

Ma tête de lit était une bibliothèque remplie de grimoires, de romans et d'objets plus ou moins empoisonnés ou explosifs. C'était, évidemment, au sommet de tout ceci que se trouvait le piédestal couvert de coussins – jadice miens cela va de soi – de sa seigneurie ségnieurisicime, j'ai nommé, Tann.

Le gros matou roux sauta sur le matelas et se posa sur mon ventre, après l'avoir piétiné à l'aide ses petites pattes toutes douces, comme s'il pouvait rendre mes entrailles plus moelleuses, à la manière d'un édredon en plume d'oie. Il réclama avec force miaulements sa première séance de câlins de la journée. Ce que je lui donnais sans broncher. Cela me faisait probablement plus de bien qu'à Tann.

Lorsque j'étais petite, je me sentais seule, nulle et inutile (ce qui n'avait pas forcément changé entre-temps). Alors, une nuit, j'avais volé le grimoire de mon coven. Je voulais prouver que j'étais capable. Capable d'être une sorcière digne de ce nom. J'avais invoqué un Démon. Et pas n'importe lequel. Belzébuth, princesse des Enfers, s'il vous plaît !

Clairement, l'une des plus grosses conneries et l'une des plus grandes réussites de ma vie.

J'avais plus ou moins réussi l'invocation et j'avais pu discuter avec nulle autre que Belzébuth. Je lui avais donné du vin et l'avais traitée avec le plus grand et le plus malveillant des respects. Cette princesse infernale était reconnue pour donner des serviteurs et des alliés fidèles, alors, je lui ai demandé si elle avait des conseils pour que j'en trouve, pour être aussi entourée qu'elle qui avait quatre princes et amants, quand même.

Je me souviens encore de son sourire. Du genre à faire bouillir le sang et glacer l'âme durant le même claquement de doigts.

Malheureusement, ou heureusement pour moi, mon coven était intervenu à ce moment-là. Les sorcières avaient refermé la brèche entre nos dimensions et je m'étais faite tirer les oreilles si fort que j'avais cru qu'elles allaient se décoller de ma tête. Une Lamia qui invoquait la mère des Nepilims ? On aurait tout vu !

Mais cette aventure a eu le mérite de faire comprendre que j'étais douée en invocations malines – l'exorcisme vint plus tard, lors d'une mésaventure truculente à base de bibendum, de diablotins et de choux-fleurs. Quelques semaines plus tard, le souvenir de cette nuit commençait à se faire moins brûlant dans mon esprit de gamine écervelée. C'est à ce moment-là que j'ai croisé la route de Tann.

Je sais qu'il ne me trahira jamais.

Comme chaque soir, lorsque je passais sous la douche, j'ordonnais un orage, refoulais du pied les grenouilles visqueuses qui remontaient du siphon en croassant, et je frottais ma peau comme une forcenée tout en me préparant psychologiquement à ma journée à venir. Grâce à la crème à base de miel, de lavande aspic et de bave de crapaud des mousses, les brûlures provoquées par la salive de l'hydre s'étaient effacées durant mon sommeil.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant