Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose 
Sa robe de pourpre au Soleil, 
A point perdu ceste vesprée 
Les plis de sa robe pourprée, 
Et son teint au vostre pareil.

Les Odes (1550-1555) extrait de « Mignonne, allons voir si la rose » Pierre de Ronsard (À Cassandre).


† † †


Rêve, ou réalité ?

Je n'en étais pas encore sûre. Nonobstant, je n'étais plus dans mon corps.

Je déambulais dans un dédale de roseraies. Les feuilles et les branches étaient vert sombre, les pétales étaient rouges sang, mais à mon passage, les fleurs viraient au blanc. Une brise printanière agitait mes boucles libérées de tout ruban. Des flocons de neige tombaient d'un ciel bleu clair, sans nuage. Pourtant, tout était immergé dans une ambiance tamisée, semblable à un crépuscule automnal.

Mes pas faisaient crisser les feuilles mortes, couvertes de givre, tombées d'arbres invisibles. Les coussinets de Tann ne produisaient presque aucun son. Je fus surprise de le trouver près de moi. Cela ne dura qu'une brève seconde. Tout était si déroutant que sa présence devint très vite le cadet de mes soucis. Au contraire, j'étais rassurée de le voir fureté par-ci par-là ou se frotter à mes jambes, détendu.

Je passais sous une charmille d'aubépine, finis par tomber sur une muraille de ronces écarlates, alourdies de mûres sauvages violacées aussi grosses que mon poing. Certaines, maturées à point, suintaient de gouttes de jus à l'odeur sucrée et musquée, irrésistible. Aussi épaisses que moi, les ronces se mouvaient tout doucement les unes contre les autres, comme dans un nid de serpents.

Tann ne s'en approcha pas.

Je tendis la main, les ronces s'écartèrent. Recouvrant les fragrances végétales et gourmandes, une odeur de soufre s'immisça dans mes narines. La muraille me dévoila une ville gigantesque, aux bâtisses de pierre noire, baignées de flammes bleues.

Pandémonium.

C'était magnifique. Je repensais à nos blagues avec Duncan, Sirius, Rhodes et Faith et même avec Piper – lorsque nous parvenions à mettre nos différends de côté. Nous disions qu'un jour, nous irions faire du tourisme en Enfer, rien que pour voir les flammes bleutées par la présence de soufre.

J'espérais que Faith était dans cette ville, qu'elle y coulait une mort démente.

Je reculais d'un pas, la brèche se referma. J'avais ouvert à mes Démons le passage entre ma prison et le reste des Enfers, mais je sentais bien que ma place n'était pas à la capitale démoniaque. (Pas encore.) La curiosité me poussa malgré tout à toucher l'une des épines, aussi longue que ma main. Une douleur aiguë irradia. Je reculai précipitamment en lâchant un couinement. Tann feula et cracha, le poil hérissé le long de sa colonne vertébrale. Je secouais ma main, la douleur se dissipa. Je m'attendais à trouver une blessure sanguinolente au bout de mes doigts, mais il n'y avait rien.

Logique, pensais-je. C'était à moi ici.

Tout provenait de mon subconscient. Rien ici ne pouvait me blesser, et surtout pas cette muraille qui défendait mon jardin. Mon Jardin. Par contre, je devinais que si quelqu'un essayait de sortir ou de pénétrer mon domaine sans mon aval...

Je poursuivis ma promenade. Un grognement, mêlant le bruit d'un arbre brisé à celui d'éclats de verre écrasés, attira mon attention. Depuis un terrier creusé sous une haie de rosiers, le Démon de la maladie sortie. En plein milieu du chemin, il s'arrêta, tourna la tête oblongue vers moi. Il ne m'offrit pas son caractéristique sourire en forme de croissant de Lune rouge sang. À la place, il s'inclina avant de déguerpir.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant