Si l'on boit une bonne partie du contenu d'une bouteille portant l'étiquette : poison, ça ne manque presque jamais, tôt ou tard, d'être mauvais pour la santé.

Alice au Pays des merveilles (1865), Lewis Carroll.


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Donner un étage pour un rendez-vous, c'était bien. Préciser la pièce, c'était mieux !

Le château de Lady Honnora était presque aussi grand que son ego. Presque. Heureusement que c'était « presque ». Fidèlement suivie par Tann, je déambulais d'une porte à une autre.

Certaines étaient fermées, ce qui allégerait mes investigations. D'autres étaient ouvertes, mais ne donnaient que sur une ribambelle de chambres occupées par des fêtards et fêtardes comateux, des salons privés investie de quelques pauvres bougres n'ayant pas trouvé mieux qu'un coin de canapé, une salle d'eau ravagée, un bureau adjoint à une petite bibliothèque toute verte ayant survécu grâce au miracle d'une divinité quelconque... Et même une salle de jeu colorée ayant manifestement accueilli un strip-poker en avance sur son temps ! Les humains croyaient réellement avoir inventé ce jeu de petite vertu ?

En bref, quelques nuits à peine après la fête de majorité de la jeune Rhodes, les bonnes vieilles habitudes de la maîtresse de maison avaient refait surface. Pourtant, je ne mettais la main sur aucune comtesse en dentelle de Devonshire et boucles noires débraillées.

On m'avait pourtant bien dit : étage quatre, aile est.

J'arrivais au bout de celle-ci... et tombais sur la cage d'escalier.

Peut-être avais-je mal compris lorsque Rhodes m'avait piaillé ses indications depuis le pied d'un escalier, avant de courir, Satan savait où ? Peut-être était-ce « ouest », et non pas « est » ?

Forte de cette nouvelle supposition, j'abandonnai mes investigations dans cette partie du château, enjambai un vampire et un loup-garou bavant chacun sur l'épaule de l'autre, puis m'engageais en direction de l'aile opposée, mon familier roux en chef de file.

J'étais pressée de trouver Lady Honnora afin d'expédier l'affaire dont elle voulait me parler ou la partie d'échecs qu'elle voulait engager. Ross avait déjà sorti nos chevaux dans le paddock un peu plus loin, en prévision de notre balade à travers champs.

Chaque seconde que je passais loin de la compagnie de lui était un grain de sable qui filait entre mes doigts, directement engloutie par un océan qui ne me laisserait jamais la chance de récupérer le contenu de mon sablier brisé...

Cette aile-ci me surprit par son silence et par la fine couche de poussière qui la couvrait uniformément. Pas un seul ronflement d'humain dépravé, de surnaturel, ou de Démon. Pas un vêtement, ni un seul accessoire plus ou moins loufoque ne traînait par terre ou sur les chandelles murales. En furetant en compagnie de mon chat, je conclus que toutes les portes étaient verrouillées, vides, avec les rideaux tirés.

Il fallait croire que c'était abandonné, ici.

En repensant aux trois orques qui s'étaient entassés sur un canapé qui aurait eu du mal à accueillir quatre femmes humaines en nuisettes, je savais que Lady Honnora n'avait pas pu juger qu'elle avait suffisamment de place pour héberger tous ses invités au jour levé. Non, ici, il était interdit de venir.

Des traces de pas et de jupes effleurant le parquet terni attirèrent mon attention.

Ah-ha ! Quelqu'un venait bel et bien à l'étage quatre de l'aile est, malgré tout ! Qu'est-ce que Lady Honnora avait encore bien pu me concocter ?...

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant