L'oiseau que tu croyais surprendre
Battit de l'aile et s'envola 

L'amour est loin tu peux l'attendre 

Tu ne l'attends plus il est là 

Tout autour de toi vite vite 
Il vient s'en va puis il revient 

Tu crois le tenir il t'évite 

Tu crois l'éviter il te tient

Carmen (1875), extrait de « L'amour est un oiseau rebelle », Georges Bizet.


† † †


Au pas de course, nous sortîmes du cimetière, traversâmes la cour et nous rendîmes derrière la chapelle dans laquelle le père Ignatius Burns ne prêcherait plus jamais la bonne parole. L'abbesse faisait le guet. À l'aide de bâtons de charbon, Rhodes et moi traçâmes en un temps record un pentagramme entouré d'une flopée de sigils et de symboles démoniaques.

Je sortis la fiole contenant la mèche de cheveux ensanglantée du coffret, la laissai tomber par terre. Avec un grand sourire, je l'écrasai sous mon talon. Le crissement du verre sonna comme une douce sonate à mes oreilles quand je piétinais les éclats rougis. Un cri fit fuir les oiseaux alentour, plus proche que le premier.

Je continuais en déchirant l'article de journal, en réduisant en bouillie les offrandes, en brisant le coffret, en plantant ma dague dans le sceau héliogravé afin de le fissurer, tel un éclair fendant le ciel. À chaque fois, les rugissements se rapprochaient, redoublaient d'intensité, dégoulinaient de rage.

Particulièrement satisfaite, je levai face à moi la lettre manuscrite qui explicitait ses ordres au Démon. Les flammes réchauffèrent mon visage lorsque je l'embrasai d'un simple haussement de sourcil.

Tann feula, le poil hérissé, en garde devant l'abbesse et l'adolescente. Les symptômes de la peste me traversèrent pour disparaître aussitôt. Des grognements venus d'un autre monde résonnèrent derrière moi. Rhodes et l'abbesse Marie-Madeline reculèrent en se tenant les mains, yeux écarquillés, bouches entrouvertes.

Jouant la carte de celle qui avait grande habitude, je dissimulais une fois de plus mes craintes profondes, puis me tournai vers la bête maléfique. Prête pour un second round, elle s'approchait tout doucement de moi, ramassée sur elle-même comme un félin prêt à bondir sur sa proie. Sauf que nous étions, l'une comme l'autre, proie et prédatrice.

Nonchalamment, je me déplaçais au milieu du cercle de révocation.

— Cette fois-ci, je ne vais te laisser aucune chance. Je t'ai d'ores et déjà affaiblie.

Le Démon m'offrit son plus terrifiant sourire rouge, en forme de croissant de Lune, fendant son visage oblongue de part en part. Je l'imitai avec mon air de Chat du Cheshire.

— Je suis la seule à pouvoir sourire de cette façon, ici.

Mon athamé chuinta hors de son fourreau.

— Démon, obéis à ma voix !

Il frissonna, s'élança vers moi.

— Ici, au chapitre, tu n'as plus voix !

Les tracés noirs s'illuminèrent en rouge. Le Démon bondit dans les airs, toutes griffes dehors.

— Je t'enchaîne à ma loi !

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant