XIII

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Les démons du hasard selon
Le chant du firmament nous mènent 
Aux sons perdus leurs violons 
Font danser notre race humaine 
Sur la descente à reculons

Alcools (1913), extrait de « Voie Lactée {2} », Guillaume Apollinaire.


† † †


Je pris une seconde pour faire appel à la Marque du familier. Quand je rouvris les paupières, je savais que mes pupilles s'étaient allongées à la verticale et luisaient dans les ténèbres, exactement comme celles de Tann. J'avais besoin de la Marque du familier pour évoluer parmi les belles-de-nuit et les roses noires enchantées pour n'éclore que sous les rayons lunaires.

Comme la première fois, retrouver la source de la Sonate du Diable fut un jeu d'enfant. Comme la première fois, Lucifer jouait avec majesté, tandis que Belzébuth dansait instinctivement en ronde, les pieds si légers qu'elle semblait voler.

Ils m'aperçurent, me sourirent. La princesse infernale attrapa mes mains, m'entraîna dans sa danse chimérique. Je savais bien que je ne rêvais pas. Pas cette fois. Malgré tout, j'avais la sensation que tout était trop vaporeux, trop insouciant, trop déroutant. C'était magique.

— Nous avons senti la présence de ta projection astrale dans ton Jardin, annonça Belzébuth en s'arrêtant, mes mains toujours dans les siennes. Comment était-ce ?

— Beau. Familier et imprévisible à la fois.

Elle me sourit, d'une oreille à l'autre, satisfaite de ma réponse.

— Tu nous inviteras à y prendre le thé, la prochaine fois, j'espère ? intervint le Diable en cessant de jouer.

— Vous ne pouvez pas entrer comme bon vous semble ? C'est pourtant situé dans les Enfers.

Lucifer haussa les épaules.

— Si j'avais pu, je serais allé trouver cet ingrat d'Astaroth depuis longtemps...

— Ce fragment des Enfers était un cadeau pour ta naissance. Nous t'avons donné la clef, alors un parrain et une marraine ne peuvent pas profiter d'un présent qu'ils ont fait.

— Ah, je voi... Quoi ? Mon parrain et ma marraine ? Vous ? Lucifer roi des Enfers et Belzébuth, princesse des Enfers ?

Je n'étais pas certaine d'avoir correctement entendu. Finalement, je devais complètement rêver ce qu'il se passait. C'était la seule explication. J'imaginais absolument tout, je divaguais, personne ne s'était invité dans mes songes et encore moins dans la propriété de Lady Honnora en chair et en cornes !

Je prenais à présent mes rêves pour la réalité...

— Pourquoi pas ?

— Bah... Parce que je suis juste une sorcière et vous nos illustres ancêtres ! Et puis, avoir des parrains et marraines, c'est pas un truc de chrétien, ça ?

— Il n'invente pas que des conneries, soutint Belzébuth avec une décontraction si puissante qu'elle parvenait à me détendre d'une manière ou d'une autre.

Si tout le monde agissait comme si c'était normal, pourquoi pas moi ?

Subitement, je comprenais ce que pouvait ressentir Roscelin lorsqu'il se produisait devant ses yeux des choses extraordinaires, alors que nous, nous ne sourcillions pas.

— D'accord. Mais pourquoi ?

— Nous avons commis une grande erreur, avec Nephilim et Lamia, commença Lucifer. Nous les aimions infiniment... Et nous avons infiniment souffert de leur perte.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant