L'anémone et l'ancolie

On poussé dans le jardinOù dort la mélancolie
Entre l'amour et le dédain

Alcools (1913), extrait de Clotilde, Guillaume Apollinaire.


† † †


Une heure plus tôt, je pique-niquais tranquillement avec Roscelin et Rhodes, et maintenant, je me retrouvais à détaler, incapable de m'orienter. Je devais soulever les couches de jupes pour avancer, le cœur battant. Une silhouette apparut derrière moi. J'accélérai sans chercher à savoir qui elle était, ni ce qu'elle voulait. Je baissai la tête un peu trop vite pour éviter d'être touchée par une aile de chauve-souris, et trébuchai à genoux. Je me relevai aussi vite que possible avant de tourner à la première occasion dans ce labyrinthe végétal.

Je ne devais pas être touchée.

Ni attrapée.

Les doigts crochus d'un rosier noir agrippèrent ma manche bouffante, égratignèrent mon bras lorsque je m'en dégageai d'un geste sec. Cet arrêt, aussi bref fut-il, suffit :

— Je te tiens !

Quelque chose heurta mon dos.

Une explosion de fumée retentit derrière moi, et je me retrouvais perdue au milieu d'un nuage gris. Un cri m'échappa quand mes pieds quittèrent le sol. Mais ce fut un rire qui fit résonner ma voix pour de bon, lorsqu'on me fit tournoyer deux fois dans les airs.

— Touché ! rit Ross en déposant un baiser sur ma joue.

— Tu es arrivé par-derrière ! Espèce de serpent ! répliquai-je.

Pour la forme, je lui donnai quelques petits coups de poings sur l'épaule. Il rit et détala à travers les dédales du labyrinthe du parc de Thornbury.

— C'est toi le chat !

Un nouveau nuage de fumée éclata sur moi. Quand il se dissipa, j'étais transformée en chat roux avec un nœud en soie écarlate autour du cou.

L'illusion était parfaite...

Impossible d'en vouloir à Roscelin. Même si j'étais mauvaise perdante. Sirius et chacune de nos courses de balai, ainsi que Duncan et toutes nos parties d'échecs, pouvaient en attester. Le premier avait laissé tomber l'idée de gagner contre moi et me faisait juste plaisir en m'offrant un simulacre de concurrence, le second devait presque se faire pardonner d'avoir remporté la partie.

La partie de chat n'était pas finie. Je pouvais encore gagner !

Déterminée, je m'étirai pour appréhender ce corps passé à la machine à laver en mode intensif, puis me glissai de couloir en couloir, sans un bruit. J'allai adopter une autre stratégie en essayant de surprendre l'un de mes adversaires, plutôt qu'en le pourchassant à la manière d'une lionne affamée.

Je croisai la route de Rhodes et Safre qui se fixaient en chien de faïence.

— Mais puisque je te dis que je ne suis pas le chat !

— Je ne te crois pas ! répliqua l'adolescente, sur le qui-vive.

Ah oui. Ce charme de bas niveau ne fonctionnait pas sur les êtres purement diaboliques.

— Mais pourquoi ?

— Parce que tu es un diablotin. Et les diablotins, ça fait des farces et des chausse-trappes !

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant