Roscelin † Bruyère

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Ce fut son dernier mot.
L'escarboucle divine
Attire les menhirs.

Le buisson d'aubépine 

S'est renfermé sur eux.

Plus rien des deux amants,
Qu'une écharpe embaumée aux longs rayonnements.
La fée est le parfum, le barde est la lumière.

Merlin : poèmes bretons, Deuxième édition (1887), extrait de « Le royaume de l'amour, III, Métamorphose des deux amants », Louise d'Isolde.


† † †


Je ne dormais pas. Je n'étais pas éveillé. Je ne rêvais pas non plus.

Pourtant, je m'étais statufié. Pourtant, je revoyais sempiternellement des images d'elle.

Sa voix charmante, ses rires francs, ses blagues étranges, ses expressions d'un autre temps. Ses boucles enflammées encadrant son beau visage malicieux éclaboussé de plus tâches de rousseurs qu'il y avait d'étoile dans le firmament. Ses caresses affectueuses ou audacieuses. Ses sourires malicieux, moqueurs ou tendres. Ses sourires de chat. Ses yeux... qu'ils furent humains ou démoniaques.

Encore et encore et encore et encore et toujours. Toujours elle.

Notre première rencontre dans la forêt des Highlands, alors qu'elle était attaquée par les chasseurs de sorcières, notre fuite commune loin de ce convoi damné, notre choix de cheminer ensemble.

Puis tous nos petits rapprochements successifs : de la première fois où je l'avais sorti d'un cauchemar et qu'elle s'était accrochée à moi comme si elle n'avait plus personne vers qui se tourner, jusqu'à notre premier baiser dans le salon de Lady Honora Kyteler, en passant par notre danse à la fête de Lord Aaron et Lady Leitis, et ses soins après que le Démon de la maladie m'eût blessé.

Bien vite, mes souvenirs avaient cessé de se présenter à moi dans un ordre chronologique. Ils étaient éclatés, éparpillés. De peur de sombrer dans la folie, je voulais me raccrocher à eux, les saisir, m'y raccrocher. Sans y parvenir. Ils étaient des lucioles voletant dans le noir. J'avais laissé tomber. Je les laissais affluer et refluer en moi aussi sûrement que la marée.

De temps à autre, des souvenirs dans lesquels elle n'était pas ponctuaient cette imprédictibilité, paradoxalement devenue monotone. Mes parents s'y trouvaient souvent. Mes amis et mes amourettes d'enfance, aussi. Je me rappelais aussi bien de mon père m'apprenant à manier sa broadsword – à l'époque beaucoup trop lourde pour moi –, que de ma mère me sermonnant et s'inquiétant de mon sort lorsque je revenais d'une bagarre. En ce temps-là, elle ne comprenait pas pourquoi je montais dans les tours dès qu'une chose me paraissait injuste. Aujourd'hui, je savais pourquoi. J'étais le fils d'un Archange devenu Empereur. La guerre pour la lumière, ça coulait dans mon sang. Je revoyais aussi les pertes progressives réduisant notre domaine familial à un vieux château défensif perdu dans le fin fond des Highlands, ainsi que les morts rapprochées de mes parents adoptifs.

J'étais troublé, mais ces réminiscences n'étaient pas assez fortes pour m'atteindre droit au cœur, pour le faire saigner ou le faire gonfler. Je n'étais pas éveillé. Je ne dormais pas non plus. Je me régénérais simplement. J'attendais qu'elle vînt me libérer de la roche...

... Ma miss sorcière.

Mon amour.

Ma Rosell...

Prostré au fond de ce gosier, rien ne pressait. J'avais fini par comprendre que le sacrifice de Lamia et de Nephilim n'avait pas seulement gardé captives leurs âmes à l'intérieur de leur cœur mué en pierre précieuse. Il avait également donné vie à ce sanctuaire. Sanctuaire qui avait depuis longtemps laissé tomber l'idée de me dévorer la chair, contrairement à tous les autres cadavres qui s'étaient effondrés dans ses intestins de pierre.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant