Comme deux sorcières qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « Le beau navire», Charles Baudelaire.
† † †
C'était une vague noire qui ne craignait pas de frapper de plein fouet une cascade rouge. La vague fut submergée par la cascade dans la seconde, mais chacune de ses gouttes était une guerrière émérite, soudée avec ses pairs.
Des éclaboussures de sang et de rage giclaient déjà en tous sens. Les membres de l'Ordre et les Venge'Rouges se sautèrent à la gorge. Les cris de guerre s'élevèrent vers la toile de verre et de fer. La tempête éclata.
Lames brumeuses, griffes, crocs, lumières des baguettes, sorts d'attaque et de défense, bourrasques, flammes et pluie. Tout était bon pour vaincre.
Hurlements, chair, hémoglobine, craquement, os, râles, membres. Rien ni personne n'était épargnée.
Furie, colère, surprise, jalousie, dégoût, peur, haine, joie malsaine, désir de mort et de survie. Toutes les émotions, primaires ou plus ambiguës, s'exprimaient.
Je me détachai de mes amis pour traverser l'océan de velours rouge derrière lequel Blade Hunter se cachait. Encore.
Il y avait des choses qui ne changeaient pas, en quatre siècles, pensai-je amèrement.
Je me battais cornes et griffes. J'évitais les coups, les parais, répliquais, transformais les Venge'Rouges en cendre, d'un simple contact, dès que l'occasion se présentait à moi.
Roscelin ne pouvait pas utiliser l'attaque si particulière et efficace de son auréole, sous peine de faire s'écrouler la tour sur nos têtes. Harcelé de toute part, il avait déployé ses ailes pour prendre de l'altitude. À présent, il usait à merveille de ses pouvoirs angéliques, en plus d'avoir conservé sa broadsword devenue flamboyante.
Sans m'en rendre compte, à force de me démener dans cette marée rouge tout en cherchant à localiser Blade Hunter, j'avais été éloignée de Roscelin... Et de tous mes autres alliés.
Un corps me percuta de plein fouet. Je roulais au sol, m'arrêtais de rouler juste devant le pentagramme à l'odeur métallique ; J'écarquillais les yeux. Je ne devais surtout pas me laisser entraîner dans ce cercle !
Entre les jambes d'inconnus piétinant en tous sens, je reculais précipitamment. Un pied s'enfonça dans mes côtes. Suivie d'une pluie de coups. L'un m'atteignit en plein visage, faillit m'assommer. Dans un cri furieux, je fis éclore des flammes autour de moi. Les torches humaines hurlèrent en courant dans tous les sens. Une poigne me remit sur pieds sans ménagement. Non : deux poignes.
— Reste pas par terre, grommela Piper entre ses crocs.
— Ça va ? s'inquiéta Duncan.
— Ouais, dis-je en essuyant du revers de la main ma lèvre contusionnée.
— Où est Hunter ?
— Il se cache. Encore. Ce sal pleutre... crachais-je.
— Ils sont beaucoup trop nombreux ! fit remarquer Piper en en attrapant un pour taper sur l'autre.
Nous nous mîmes en position de défense : en cercle, dos à dos. Rhodes et Belladonna ne tardèrent pas à nous rejoindre. Piper avait raison, même si ça me faisait mal de le dire.
Je fermais les yeux, retrouvant le chemin vers mon Jardin de roses et d'épines. Il était temps que j'appelasse mes Démons à la rescousse. Des cercles épineux s'ouvrirent un peu partout dans la salle. Les combattants, en rouge ou en noir, bondirent en arrière quand ils virent des cornes et autres attributs démoniaques émerger.
Astaroth, Vlad et ses gargouilles attaquèrent en priorité les Venge'Rouges dotés de lames brumeuses. Même Safre, Iglesias et Esmeralda étaient de la partie, s'amusant à déséquilibrer, harceler nos ennemis et à enfoncer leurs capuches sur leurs têtes jusqu'à leurs yeux.
Mais où était passé Dante ?
Tant pis.
J'ouvrais mon sac-sans-fond pour laisser Tann en glisser gracieusement. Dans les trois secondes qui suivirent, mon familier s'était métamorphosé en ce gigantesque Démon félin aux six yeux jaunes, aux griffes rétractables grosses comme mon avant-bras, au pelage de feu et aux deux queues battant furieusement l'air. Dans un feulement, il fondit sur des fronts scarifiés, comme s'il ne s'était agi que de grosse souris.
— Y'a... quand même deux trois trucs qui ont changé chez toi, en une heure à peine, non ? s'enquit Sirius.
— Pour moi, ça fait plus d'un mois, grommelai-je.
— Ah.
— Cours mettre la main sur Hunter ! nous interrompit mon père tout en me fixant.
Il ne prenait plus la peine de brandir son épée brumeuse de protecteur. Il utilisait directement sa magie de l'eau.
— Nous, on te couvre, me promit ma mère en pointant sa baguette à l'encontre de trois personnes qui se tordirent ensuite de douleur, à même le sol.
Reconnaissante, j'acquiesçai avant de reprendre ma progression, nettement facilitée par mes amis et mes parents.
Un véritable colosse me bloqua le passage avec un sourire torve lorsque son regard de fouine glissa sur mon corps. Sérieusement, il était immense. C'était quoi ? Une sorte de remake tordu de David contre Goliath ?
— Où tu vas comme ça, Sang-mêlée ?
— Butter ton maître.
Il ricana, gonflant ses muscles et bombant le torse. Son sourire était fier et cruel. Ça me donnait envie de lever les yeux au ciel. Ainsi que des envies de meurtre.
Un petit Cavalier King Charles démoniaque, noir et feu, jappa à mes pieds. Il faisait face à l'homme, ses petites pattes écartées, prêt à en découdre. Le Venge'Rouges grand comme Hulk éclata franchement de rire, cette fois.
— Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? Ne me dis pas que c'est un Démon ?
— Et bien, je te présente ma petite peste adorée. Je te lance la pierre en premier. Sans rancune.
Il ne sembla pas comprendre la référence. Pourtant, il essayait de saisir la blague ; ça se voyait à la fumée qui sortait de ses oreilles. Mais puisque sa matière grise manquait de muscle, elle, la fumée sortit ensuite de ses naseaux, dilatés de colère.
— Je vais faire qu'une bouchée de ton caniche.
— Dante ?
Mon petit Démon tourna vers moi sa gueule démesurément grande, pour dévoiler ses dents rouges et sa langue pendante, ahanant d'excitation.
— Attaque.
Une seconde plus tard, c'était le Démon de la maladie qui enfonçait ses longues griffes au travers du corps du Venge'Rouges pour se repaître de son sang.
À ce moment, je perçus un mouvement qui se voulait discret. Blade Hunter venait de disparaître par une alcôve. Sans hésiter, je bondis à sa poursuite.
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L'Épine & la Plume
ParanormalRose-Elizabeth est la sorcière la plus mauvaise jamais née au coven de Salisbury, tout proche de Stonehenge. Les seuls domaines dans lesquels Rose-Elizabeth est douée sont l'exorcisme et la démonologie. Afin de trouver sa place, la jeune femme est e...