Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin, minuit, midiDans l'enfer ou le paradis,
Les amours aux amours ressemblent.
C'était hier que je t'ai ditNous dormirons ensemble.
Le Fou d'Elsa (1963), « Vers à danser », Louis Aragon.
† † †
Cette fois-ci, j'ouvris simplement les yeux en prenant une profonde inspiration, immobile. Tann ronronnait à côté de moi, le plafond avait toujours ses jolies peintures, dehors la météo était calme, dedans, la bougie était presque entièrement consumée. Tout allait bien.
Quelque chose pesait dans ma main.
Je me redressai pour l'observer à la lumière de la flamme. C'était une pomme. Une pomme bleue. Trop bleu.
Je bondis sur mon matelas, entrepris de faire les cent pas sur mon lit, observant minutieusement le fruit défendu tout en me remémorant chaque parole du duo infernal. J'étais trop fébrile pour me rendormir, alors, je fourrai la pomme bleue dans mon sac-sans-fond et sorti de ma chambre. J'espérai que je le faisais vraiment, cette fois-ci. Mes pieds m'emmenèrent d'eux-mêmes au bon endroit.
Suite à l'insistance de mes doigts toquant à la porte, cette dernière s'ouvrit. Le visage chiffonné de sommeil, les boucles défaites et la chemise à moitié déboutonnée, Roscelin apparut dans l'embrasure. Je dus fournir un effort pour conserver ma contenance détachée de façade.
Après avoir papillonné des paupières, il me reconnut et ouvrit grand la porte pour me faire face.
- Rosabeth ?
- Vous m'avez dit que si mon sommeil se trouvait encore troublé, je trouverai toujours une oreille attentive auprès de vous.
- Et je vais tenir cette promesse. Laissez-moi juste le temps d'enfiler une veste et nous pourrons aller marcher un peu pour discuter, si cela vous convient.
Je secouai mollement la tête. Marcher ? À ça, non. J'avais dansé une bonne partie de la nuit, puis couru dans les jardins - même si je ne savais plus trop si ça avait été un rêve ou une forme de somnambulisme. Je préférais poser mes mains à plat sur le torse du brun et le pousser en arrière. Pris de court, il ne du même pas penser à résister. Je refermai derrière nous.
- Que faites-vous, miss sorcière ?
- Je n'ai pas envie de marcher. Je tourne assez en bourrique comme ça, soufflai-je, en posant mon front contre son torse, si bas que je doutais qu'il eût entendu quoi que ce fut. Je ne suis pas douée pour réconforter les gens, alors, si vous êtes ma Némésis, vous devriez savoir le faire...
Sans un mot, respectant ce calme feutré, Roscelin passa ses bras autour de moi. C'était très différent de lorsque nous avions dansé. Auparavant, il avait dû me tenir fermement pour que je ne m'envolasse pas et pour me guider dans la danse alors que je n'en avais souvent fait qu'à ma tête. Là, c'était juste tendre et doux, il apposait à peine une pression dans mon dos, et c'était juste ce qu'il fallait.
C'était juste.
Lorsque je commençais à somnoler dans ses bras, il m'écarta un peu de lui, repoussa une mèche rebelle qu'il coinça derrière mon oreille. À peine eut-il terminé son geste que la mèche en question retomba sur mon visage.
- Vous devriez aller vous coucher. Vous tenez à peine debout.
Mais je secouai la tête.
- Vous êtes têtue, souria-il.
- Je veux seulement rester avec vous. Rien que cette nuit.
Il soupira en palissant de cette étrange manière qui me faisait douter que ce fût vraiment un blêmissement. Il me lâcha, se détourna de moi. Curieuse et inquiète de savoir si j'avais poussé le bouchon trop loin pour cet homme aux mœurs meilleures que les miennes, je l'observais repousser ses couvertures, puis revenir me prendre la main pour me guider jusqu'à la gauche du lit. Je me glissais dans les draps déjà chaud, il tira les rideaux du ciel de lit, et un étrange sentiment de pudeur m'envahit. Lorsqu'il eut pris place de son côté du matelas, et soufflé la bougie, je réalisai subitement que j'allais dormir dans le même lit que Roscelin Withlamb.
Une irrésistible envie de sourire d'une oreille à l'autre prit possession de mes lèvres. Je ne savais pas d'où elle venait, mais je savais qu'elle était accompagnée d'un sentiment de satisfaction et d'excitation bien plus savoureux que tout ce à quoi j'avais goûté auparavant. Pourtant, j'allais juste dormir avec un homme. J'avais fait tellement pire - ou mieux, selon le point de vue.
Ce fut Roscelin qui me surprit en m'attirant tout contre lui. Il irradiait la douceur d'un Soleil printanier, sentait bon comme un paysage ensoleillé, et ses gestes avaient la délicatesse d'une brise... Je n'aurais jamais cru possible d'apprécier autant les caractéristiques de l'astre diurne, ni de l'été, moi qui aimais les profondes nuits d'automne, et pourtant... Ces sensations s'accentuèrent lorsqu'il déposa un baiser sur ma joue.
Des papillons duveteux s'agitèrent au creux de mon ventre. Une sensation plus solaire et délicate que tout m'effleura. Mon cœur fit une embardée. Les épines de sa couronne de ronces s'enfoncèrent dans son muscle moue. De peur que la douleur survienne encore, je refoulais ces sensations neuves et intrigantes, les ignorais (et les cachais dans ma demi-âme plutôt que dans mon cœur effrayé afin de les garder tout de même pour moi).
Après quelques instants, je me détendis de nouveau, puis pensais au seul être auquel je (pouvais) voulais penser.
Pour un homme qui était si gêné à l'idée de partager le lit d'une femme à laquelle il n'était pas marié, je le trouvais savoureusement audacieux. Il y avait une sorte de dichotomie qui se bagarrait en lui. D'un côté, il voulait tant bien faire les choses, tant être respectueux, suivre les règles, qu'il en paraissait rigide. De l'autre, il voulait déployer ses propres ailes.
- La belle nuit, Ross... soufflai-je, oubliant que ce n'était pas la bonne expression.
- Faites de beaux rêves, Rosell.
Je fermai les yeux en imaginant Roscelin s'envoler en déployant des ailes immaculées. Et je fis de beaux rêves.
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L'Épine & la Plume
ParanormalRose-Elizabeth est la sorcière la plus mauvaise jamais née au coven de Salisbury, tout proche de Stonehenge. Les seuls domaines dans lesquels Rose-Elizabeth est douée sont l'exorcisme et la démonologie. Afin de trouver sa place, la jeune femme est e...