XIII

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Elle essaya d'imaginer à quoi ressemble la flamme d'une bougie après qu'on l'a soufflée.

Alice au Pays des Merveilles (1865), Lewis Carroll.


† † †


Courir n'avait jamais été aussi difficile. Une nouvelle contraction du boyaux dans lequel nous nous trouvions nous jeta au sol. Arrivé là, il n'y avait plus aucun ossement. Personne n'avait jamais réussi à pénétrer aussi profondément dans le sanctuaire.

Je ne me demandais même pas comment on respirait, aussi loin sous la surface. Les gemmes multicolores brillant le long des parois, peut-être ? C'était magique, point barre.

Roscelin me tira par le bras pour me relever et me pousser à courir. Courir. Encore et toujours. Nous ne faisions que ça. Où était cette foutue sépulture !

Une nouvelle secousse nous ébranla, ainsi que nos poursuivants. Nous parvînmes à garder l'équilibre, et continuâmes de mettre un pied devant l'autre... ainsi que nos poursuivants. Plus ça allait, plus la sensation d'être à l'intérieur d'un être vivant titanesque m'oppressait.

— Ross, j'ai l'impression que...

— Attention !

Roscelin m'attira vers lui, m'évita un quelconque projectil.

— T'arrête pas Rosell ! On n'a pas le temps de parler !

La panique perçait dans sa voix. J'étais vexé, mais il n'avait pas tort. Savoir que nous étions, ou non, dans le tube digestif d'une bestiole magique et pluri-millénaire ne changerait rien à notre situation pourrie !

Il fallait juste atteindre la crypte, car, dans l'état des choses, Roscelin et moi ne faisions plus le poids face à autant d'adversaires. Je sentais que mes Démons se battaient encore contre les Venge'Rouges, toujours dans l'objectif de les ralentir. C'était comme presser les mains sur les fissures d'un barrage.

Dante était retourné dans mon Jardin. Il aurait continué jusqu'à la mort, en temps que bon chien de garde, mais je lui avais ordonné de retourner sous une roseraie. Plusieurs des gargouilles de Vlad avaient été occis, et je m'en voulais pour lui. Astaroth, lui, s'amusait comme un petit fou...

... Jusqu'au moment où une lance enchantée traversa sa poitrine.

— Non ! hurlai-je en tombant à genoux.

Roscelin se précipita vers moi, palpa mon corps de peur que je fusse touchée, pris mon visage en coupe, fou d'angoisse.

— Rosell ? Rosell, que se passe-t-il ? Relève-toi ! me suppliait-il.

— Astaroth ! Rentre !

— Il en faut plus pour me tuer !

— Je m'en moque ! Si tu es tué ici, tu disparaîtras et puis c'est tout. Tu n'as pas d'âme ! crus-je bon de lui rappeler.

— Je peux encore me battre.

— J'ai besoin de toi en bonne santé. Rentre te régénérer.

— Il y en a encore beaucoup trop à votre poursuite et Vlad sera seul.

C'était le guerrier qui parlait. Un chef de troupe qui avait mené plus d'un Ange à l'époque, puis plus d'un Démon en guerre. Il avait de l'honneur, il refusait de laisser un frère d'armes seul derrière lui, ni d'abandonner sa supérieure hiérarchique.

— On y est presque, lui indiquai-je en me relevant sous le regard à peine soulagé de Roscelin qui me traînait carrément par les épaules. Alors, tu rentres au Jardin. Vlad, toi aussi.

— Je tiens encore la forme. Il me reste de nombreuses gargouilles.

— Vous avez décidé de tout me faire chier cette nuit ou quoi ?! rugis-je en allongeant la foulée, même lorsque j'avais la sensation de n'être plus qu'une flamme vacillante.

J'étais obligée de laisser Roscelin passer devant avec ses longues jambes : le conduit était de plus en plus étroit.

— Repliez-vous, c'est un ordre ! Ne m'obligez pas à vous refermer le passage de force, vous savez que j'en suis capable.

— Bien, Rosabeth. Astaroth, hâte-toi.

Je sentis Vlad disparaître de cette dimension, suivit de ses gargouilles.

— Très bien, petit tyran.

La dernière pique de cet attachant abruti de duc infernal me rendit plus légère pour courir.

— Tout va bien ? s'inquiéta Roscelin pendant que nous effectuions un virage serré.

— Oui. Mes Démons ne voulaient pas trop lâcher l'affaire contre les Venge'Rouges. Mais tout va bien, ils sont rentrés au Jardin.

Pile lorsque j'achevais ma phrase, une flèche fendait l'air entre nous.

— Ils ne pouvaient pas faire mieux, hoqueta Roscelin en serrant si fort mon poignet que je m'inquiétais pour mes os.

Ross était à présent doté d'une force colossale. Pourtant, il semblait craindre plus que tout d'être séparé de moi. Je donnais tout ce que j'avais pour que ça n'arrive pas.

Une nouvelle contraction dans ce réduit fit tomber des morceaux de roches sur nos têtes. Roscelin en décrocha un qui s'effritait déjà, le lança sur la horde qui nous suivait à la trace tandis que j'envoyais un jet enflammé. Ça les ralentit juste assez pour nous donner quelques foulées d'avance.

Nous ne vîmes jamais la marche.

Et nous roulâmes sur plusieurs mètres, sans parvenir à rester arrimé l'un à l'autre. Je roulais sur le ventre, me mis à quatre pattes avec une grimace. Chaque parcelle de mon corps était une souffrance. Je n'arrivais pas à croire que je parvenais encore à bouger plus que le petit orteil.

Nous avions atterri dans une nouvelle grotte, bien plus petite que les autres. Elle ressemblait davantage à une chapelle plutôt qu'à une cathédrale. Son sol était tout aussi irrégulier, ses murs dentelés et son plafond en coupole caché par des stalactites que je n'espérais pas voir tomber... Sauf sur nos ennemis.

Ennemis qui inondaient les lieux par vagues. Blade Hunter en chef de troupe.

Roscelin et moi rampâment précipitamment pour nous placer dos à dos... Et surtout nous retrouver dos au mur.

J'avais bien envie de les faire brûler, mais il me restait si peu d'énergie. Je me battais pour ne pas virer de l'œil, ni vomir. Or, j'avais besoin du peu de jus qu'il me restait pour enclencher le sort de Salathiel. Quand à Roscelin, c'était toujours le même problème : il ne pouvait pas déployer ses ailes, ni utiliser son auréole sous peine de tous nous ensevelir, s'il avait d'autres pouvoirs il ne savait pas les manier, et il était tout aussi blessé et épuisé que moi.

— Je suis désolé... souffla-t-il à mon oreille, la voix rauque. J'aurais mieux fait d'écouter Michaël lorsqu'il me proposait d'apprendre à utiliser mes pouvoirs, plutôt que de vouloir en obtenir le plus possible...

— Ne penses pas à ça... répondis-je, la gorge irritée. Tu as fait ce que tu as pu. Tu es revenue jusqu'à moi, tu m'as protégée, tu m'as portée jusqu'ici envers et contre tout... Tu as tout fait... parfaitement bien.

Une Venge'Rouge voulu me saisir au col. Je lui jetai mes flammes à la figure. Un autre fit de même avec Roscelin. Ce dernier leva une main alors que son sang brillait. Par réflexe, je fermai les yeux. Une lumière éblouissante fusa le temps d'un claquement de doigt. L'homme qui s'était avancé vers mon Ange hurlait comme un damné en se tenant les yeux. Je croyais bien que Ross lui avait grillé les nerfs optiques. Je ricanais. C'était pas mal ça. Il pouvait le refaire ?

— Hé ! c'est quoi ça, là-bas, me demanda-t-il en pointant une direction du menton.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant