« Bois-moi ».
Alice au Pays des merveilles (1865), Lewis Carroll.
† † †
Je courais à la suite de Tann dans les couloirs qui s'étaient désemplie. Je n'avais plus à jouer des coudes, mais je fus obligée de pousser un couple de satyres qui avait décidé de remettre ça... contre ma porte.
— Hé ! Doucement !
— C'est impoli !
Les flammes que mon regard – et que mes mains – lançaient leur firent comprendre que se prendre contre la porte de la chambre d'autrui était nettement plus impoli. Ils glapirent et coururent. Loin.
Avec une pointe de satisfaction, j'entrais dans ma chambre pour récupérer mon sac-sans-fond. Au réveil, j'avais vraiment dû me préparer sur un petit nuage pour avoir négligé mon précieux bagage sur un fauteuil...
Dehors, les nuages noirs s'amassaient et grondaient.
Tann me miaulait dessus de tout son coffre. Je le suivis encore en courant à travers le château. Il semblait vouloir que cet homme survive encore plus que moi.
Pourquoi donc...?
Je me souvenais que Tann était un familier envoyé par Belzébuth pour me veiller. La princesse infernale n'avait quand même pas un quelconque intérêt à protéger cet illustre inconnu ? Si...?
Tann grattait une porte en bois au point d'y graver des traces de griffes. Dans un premier temps, je voulus ouvrir la porte de manière civilisée. Elle était fermée. N'ayant pas le temps de jouer, j'endossais à nouveau le rôle de la recrue de l'Ordre dont j'étais si fière (avant que tout ça ne me tombe dessus et que je perdis de vue ce que j'étais).
Je donnais un grand coup de pied contre le pan, près de la serrure. Dans un fracas et une fine pluie d'échardes, je découvris un véritable laboratoire. En entrant, je plaquais mon avant-bras sous mon nez. Ça puait le maléfice et le poison, là-dedans.
Une collection faramineuse de plantes poison croissait dans des pots en terre cuite. Des filtres à vapeur extrayaient, goutte par goutte, du concentré d'ancolie. Une glande de fiel d'hydre trônait sous cloche. Une ribambelle d'animaux toxiques étaient conservés dans du formol. Une énorme plante carnivore avait complètement envahi un coin de mur qui ne voyait jamais le soleil, du plancher jusqu'aux poutres. Je soupçonnais cette chose à l'apparence visqueuse d'être à l'origine de l'odeur de mort régnant dans la pièce. Un pan entier de mur était réservé à des fioles remplies de mélanges de poisons, soigneusement étiquetés en langages codés et par code couleur.
Vil Diable... Si je devais trouver le remède parmi ces centaines de flacons, je n'étais pas sortie du laboratoire maléfique.
Tann me sortit de ma contemplation hébétée en me miaulant dessus. Encore. Je commençais à en avoir assez de me faire enguirlander par mon propre familier !
Et pourtant. J'obtempérai sans un mot.
J'attrapais l'échelle coulissante pour monter quelques marches. J'imaginais que Lady Honnora n'avait pas laissé son précieux contrepoison à la portée de n'importe qui, mais pas non plus trop en hauteur parce que ça aurait été trop évident de cacher ça dans le recoin sombre, tout au sommet. C'était une femme plus subtile ; je l'imaginais plutôt planquer le remède au milieu de tout et rien.
Dès que je touchais une fiole du doigt, Tann, en contrebas, feulait férocement. Alors j'en touchais une autre. Lorsqu'il éructa un peu moins fort que les autres fois, j'en déduis que je chauffais. Je coulissais de plus en plus vers le fond de la pièce – où se trouvais cette intéressante plante carnivore humant bon le suc gastrique en pleine effervescence –, et croisais des étiquettes indiquant « Pour mourir jeune », « Lorsque nous voulons passer à autre chose », « Il faut avoir un cœur, pour en souffrir », ou encore « Ce qui n'existe pas, n'a pas de problème »...
Décidément, quel humour, cette bonne femme.
Je finis en tête-à-tête avec la plante carnivore qui sembla me roter au visage grâce au trou noir béant qui tenait lieu et place de pistil, entouré de pétales à l'aspect spongieux, auxquels je ne touchai pas, après réflexion. Sérieusement, le mucus qui perlait à travers les pores devait filer la gangrène. Je plissai les yeux en sentant des larmes réflexes monter. Je me demandais si Lady Honnora la nourrissait en jetant dans son gosier végétal les domestiques incompétents et les témoins de ses méfaits.
Tann miaula d'impatience. Des fioles étaient cachées derrière la plante carnivore.
Je retenais tout ce que j'avais dit sur la prétendue subtilité de la nantie.
Mais il fallait avouer que c'était rudement efficace. Même moi, je n'avais pas envie d'y plonger le bras ! Alors, que dire d'un humain où de n'importe quelle créature peu habituée à composer avec des ingrédients plus ou moins ragoûtants ?
Avec la grimace de dégoût la plus expressive que j'avais jamais arboré, je retins mon souffle. Puis je plongeai le bras parmi les racines visqueuses s'étendant sur les murs et s'engouffrant dans les interstices des étagères.
— Beurk, beurk, beurk, beurk, beeeeeurk... répétai-je jusqu'à ressortir ma main de là, une fiole entre les doigts, étirant un filet de mucus gluant jaunâtre.
Le verre était rouge avec une étiquette noire, il y était écrit « Bon pour l'Enfer terrestre ». Quelle jolie manière de dire qu'on n'allait pas mourir d'empoisonnement, et continuer à vivre à la surface de cette planète.
Tann miaula de désapprobation. Message reçu : je jetais le fiole pour que son contenu éclaboussât la sol.
— Ça lui fera les pieds, tient... grommelai-je avant de replonger mon bras jusqu'au coude.
La plante devait se sentir agressée, car ses lianes qui la maintenaient accrochée à la paroi s'agitèrent lentement et convulsèrent comme un nid de vipères. Le suc à l'odeur pourrie attaquait clairement le tissu de ma robe. Heureusement pour moi, ma peau résistait mieux... Enfin, pour l'instant.
En essayant de ne pas trop réfléchir à ce dans quoi j'avais mis la main jusqu'à l'épaule, je triturais tout ce qui tombait sous mes doigts et le jetais au loin dès que Tann me signalait que ce n'était pas ce que nous cherchions. J'avais sacrément descendu la collection de remèdes miraculeux de Lady Honnora. Si je n'avais pas été si pressée, j'aurais pleinement ressenti la satisfaction.
Il ne restait plus grand-chose, dans cette cache, à mon avis. J'en sortis justement une fiole absolument minuscule. Elle était à peine aussi grande que la phalange de mon pouce. Il ne devait y avoir que quelques gouttes de remède, là-dedans. Je lus l'étiquette à haute voix :
— « Bois-moi »... Sérieusement ?
Tann gazouilla en bondissant vers la porte, toujours grande ouverte. Je refermais mon poing sur la fiole, bondis au bas de l'échelle avant de suivre mon familier en courant. Dans la chambre de Lord Benedict Downtree, je déboulais comme un chien dans un jeu de quilles.
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L'Épine & la Plume
ParanormalRose-Elizabeth est la sorcière la plus mauvaise jamais née au coven de Salisbury, tout proche de Stonehenge. Les seuls domaines dans lesquels Rose-Elizabeth est douée sont l'exorcisme et la démonologie. Afin de trouver sa place, la jeune femme est e...