IX.

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« Le rossignole qui du haut d'une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. 
Il est au sommet d'un chêne et toutefois il a peur de se noyer. »

Cyrano De Bergerac (1898), Edmond Rostand.


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Mes vertèbres allaient finir par fusionner les unes avec les autres. Elles étaient sur le point de s'agglomérer en un long bâton raide et insensible dans mon dos. J'avais déjà dû perdre cinq bons centimètres de hauteur, c'était sûr ! Et puis jamais mal partout : les bras, les épaules, le dos, les jambes... Je n'étais pas habituée à de si longs voyages en selle, et je le sentais passer...

Roscelin, lui, semblait se porter comme un charme. Le dos droit, fier comme un pape, il faisait aller sa jument blanche, se penchait en avant dans les montées, en arrière dans les descentes, et ne se fatiguait même pas lorsqu'il fallait faire du trot en levé !

Moi, j'avais tellement mal aux fesses... N'avait-il pas mal aux fesses ? Ses muscles galbés étaient-ils donc en acier trempé ?

Minute. Pourquoi regardais-je son postérieur ? Je regardais son postérieur ? Je regardais son postérieur !

Je détournais vivement les yeux, croisais son regard. Ô, Enfer... Je fis comme si de rien n'était, me concentrais sur tout ce que comportait cette lande, tout, sauf lui. Ce Roscelin Whitelamb était (à se damner) pas si beau que ça. Je devais être en manque. Je ne voyais que ça. Ça existait, en 1666, les bordels avec des hommes ? Je méditais là-dessus durant le reste de l'après-midi.

Lorsque le Soleil amorça sa descente vers la cime des arbres, nous nous arrêtâmes. Quand je me glissai de la selle jusqu'au sol, l'impacte se répercuta de la plante de mes pieds jusqu'à mes hanches. Je grimaçais. Elles aussi étaient douloureuses...

— À la bonne heure ! soupirai-je en m'étirant.

— Je suis bien d'accord, acquiesça mon compagnon de route en étirant ses jambes.

Ah-ha ! Lui aussi avait mal ! Je souris à l'idée. Je lui fis même un petit coucou de la main.

Malgré une démarche de cow-boy, Roscelin s'activait déjà pour desceller Alba et installer le campement. Je l'imitai en essayant de ne pas avoir l'air d'une lady handicapée des dix doigts. Avant de partir couper des branches, muni d'un impressionnant couteau, il me demanda de planter deux bâtons dans le sol, de part et d'autre de notre couchage. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait en faire – embrocher un sanglier de la barbe au cul ? – mais je m'exécutais.

— Ce n'était pas exactement ce à quoi je pensais lorsque je vous demandais de planter des bâtons... intervint Roscelin en émergeant des arbres et des buissons, me surprenant en train de marteler le sommet d'une branche nue à l'aide d'une pierre.

— Et bien, les bâtons sont de chaque côté de notre couchage, non ?

— Oui, mais il fallait les mettre près du feu, pas près de nos têtes. Le but est de tendre une toile entre les deux, au-dessus de nous, puis de couvrir le tout avec des branches et des feuilles afin de nous protéger du vent et de faire ruisseler la pluie loin du feu.

— Ah... Je n'avais pas compris. Désolée...

À ma grande surprise, Roscelin ne se moqua pas. Pour moi qui n'avais jamais ressenti le besoin de faire du camping, puisque je vivais déjà au milieu d'un morceau de forêt de la campagne anglaise, il usa de patience pour m'expliquer chaque étape de la mise en place d'un campement rustique. Je me surpris à trouver tout cela amusant, surtout lorsque nous entamâmes un combat avec des branches en lieu et place d'épées.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant