« Si tu connaissais le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, tu ne parlerais pas de le perdre comme une chose. Il se perd tout seul. »
Alice au Pays des merveilles (1865), Lewis Carroll.
† † †
Jusqu'ici, j'avais toujours vécu dans l'espoir d'obtenir l'estime de mes pairs, l'amour de ma famille, ou, dans mon cas, l'amour de mon coven. Cela m'avait poussé à faire des choses bêtes ou dangereuses, comme invoquer une princesse démoniaque, ou comme entrer au sein de l'Ordre. Tout le monde savait que l'on était amené à menacer notre intégrité physique, une fois l'uniforme noir revêtu. C'était l'armée de l'ombre.
Mais je cherchais désespérément ma place. Un endroit où je serais utile, acceptée, intégrée, respectée (adulée).
Quand le froid me réveilla, je ne savais pas que j'allais passer à une autre étape de mon existence : celle de la nostalgie, du regret de ce passé trouble.
J'ouvris les yeux en prenant une bonne inspiration. Je devais avoir émergé des abysses. J'avais l'impression d'avoir été engloutie sous les flots opaques, denses et tumultueux de la Mer du Nord, d'avoir été mâchée par les courants, puis recrachée comme un vieux chewing-gum ayant perdu toute saveur...
Des arbres dorés se découpaient dans un ciel de feu, au-dessus de moi. Je clignais des yeux pour chasser le voile floue qui les couvrait, avant de comprendre qu'il s'agissait d'un épais brouillard.
Quelque chose bougea contre mon flanc. Mes doigts raides rencontrèrent le pelage soyeux et roux de Tann. Je ne savais pas comment il était possible qu'il soit avec moi, mais je m'en moquais. Il était un abri ombragé dans un monde noyé d'une lumière éblouissante et suffocante. Je me redressai avec peine pour serrer contre moi mon familier. J'étais transi de froid.
— On est où, Tann ? Qu'est-ce qu'il...
Ma respiration se coupa encore. Des flashs tourbillonnaient dans mon esprit. La mission de l'Ordre, la messe noire, Faith qui se poignardait en plein cœur, Giselda qui me poussait dans le pentagramme de sang, les chaînes de lave autour de moi, le sol qui m'avait engloutie après que j'ai effacé quelques sigils...
Je plaquai une main contre ma bouche pour étouffer un sanglot. Ou un cri de stupeur arrivé à rebours, je ne savais pas trop. Parmis tous ces souvenirs terribles, les pires venaient de me revenir en mémoire comme un élastique étiré reprenant sa forme d'origine. Cette femme, Belladonna, vraisemblablement la gouroue de cette messe noire qui avait pour but de m'ensorceler, se révélait être ma mère. Et Rhodes, en qui je plaçais toute ma confiance, mon gardien, s'avérait être mon... Mon p... Père.
Le fil de mes pensées se rompit là. Tout était sens dessus dessous dans ma tête, dans ma vie, dans mon existence toute entière. J'avais vécu dans un vaste mensonge.
Ma mère était une Lamia.
Mon père était un Nephilim.
Ce qui signifiait que j'étais...
Que j'étais...
Un gémissement m'échappa.
Je ne pouvais même pas aller au bout de ma pensée. Ce n'était tout simplement pas possible. Pas possible. Pas possible, pas possible, pas possible... J'éclatai en sanglots, écrasai mes paupières les unes contres les autres pour endiguer le torrent de larmes brûlantes.
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L'Épine & la Plume
ParanormalRose-Elizabeth est la sorcière la plus mauvaise jamais née au coven de Salisbury, tout proche de Stonehenge. Les seuls domaines dans lesquels Rose-Elizabeth est douée sont l'exorcisme et la démonologie. Afin de trouver sa place, la jeune femme est e...