Viens, épaisse nuit, enveloppe-toi des plus sombres fumée de l'enfer.

Macbeth (1623), William Shakespeare.


† † †


L'uniforme militaire noir de l'Ordre m'allait toujours comme un gant. Pourtant, je ne ressentais plus la même émotion lorsque le tissu enchanté s'adaptait à mon corps comme une seconde peau.

Je n'avais plus rien à prouver.

À personne.

Je devais seulement protéger ceux à qui je tenais, ainsi que tous les autres.

J'allais y arriver. J'allais y arriver. J'allais y arriver, me répétai-je inlassablement tout en rassemblant mon indomptable chevelure en queue-de-cheval, à l'aide d'un ruban bleu.

Mon brun aussi, c'était changé. Un costume trois pièces et des richelieu, ce n'était pas le must pour en découdre. Il ressemblait vraiment à un Archange, dans cette armure en or clair qui soulignait sa silhouette et cet habillement blanc brodé d'un bleu pâle, incapable de soutenir la comparaison avec la teinte de ses yeux.

— T'es vraiment sûre de toi ?

Duncan avança à ma hauteur, le nez levé vers l'Académie. Il n'était pas le seul à avoir posé cette question. Les voix de mes proches s'étaient élevées dans un bel ensemble. Pour un peu, je me serais vexée... Seul Roscelin avait gardé le silence, sa main prisonnière dans la mienne.

— Oui. Je sais sous quelle identité Blade Hunter s'est glissé parmi nous.

Tout le monde était en tenue et paré à la bataille : Duncan, Sirius, Piper, les Alchimistes Axar et Spike, Rhodes et Belladonna, Ross, Titania Archer et les membres de l'Ordre dépêchés à Salisbury.

— J'ai hâte de découvrir le bonhomme, lança Piper en faisant craquer ses poings, sa transformation lupine déjà amorcée.

— Tu ne vas pas être déçue, marmonnai-je en passant les imposantes double-portes.

Tout ce petit monde me suivait, Ross à mon côté, nos doigts entremêlés, nos âmes se frôlant. À chaque marche gravie en direction du sommet de la tour, mon cœur pulsait un peu plus fort. Je ravalais mon appréhension, adoptais une démarche mesurée. Là-dessus, je feignais toujours aussi bien. Mes proches n'étaient pas dupes ; je le devinais au vu des coups d'œil qui contenaient à eux seuls toutes leurs inquiétudes. Quant à ceux qui ne me connaissaient pas... Ils découvriraient bien assez tôt ceux que j'avais maintes fois combattus.

Cette nuit, scrutée par l'astre sélène ensanglanté, serait la dernière. Qu'importât l'issue du combat.

L'observatoire astronomique de l'Académie de Magie était une tour de dentelle de pierre sombre s'élançant vers le ciel nocturne. Avant d'arriver à la salle du télescope, au sommet, nous empruntâmes l'escalier s'enroulant contre les parois, comme la carapace d'un escargot. Il nous faisait traverser des espaces vides hauts de plusieurs étages, permettant aux créatures ailées de s'entraîner au vol, ainsi que de vaste salle circulaire qui offraient l'espace nécessaire pour jeter des sorts et tracer des pentagrammes.

C'était dans l'une de ces salles d'entraînement que je perçus la présence d'un être perfide. Je me demandais si c'était la Pierre philosophale qu'il avait dérobée à Salathiel qui le poussait à aimer les constellations autant que le vieil Alchimiste, car il n'existait pas de hasard.

Des ténèbres, un rire désincarné émana. Il rebondit contre les murs circulaires, contre le marbre, contre le fer, il fit frissonner le verre et ma chair.

Un Monstre sortit de son antre. Il portait les vêtements typiques d'un professeur d'université : grossières chaussures de cuir, jean un peu trop adolescent pour son âge, chemise à carreaux et bretelle plus à la mode depuis le milieu du siècle dernier.

Je savais enfin d'où venait la cicatrice de brûlure qui dévorait la moitié gauche de son visage : pas du Grand incendie de Londres de 1666, mais de moi.

Ses globes oculaires luisaient d'une lueur crépusculaire, signe qu'il détenait toujours en lui la Pierre Philosophale de Salathiel. Il avait revêtu sa cape de velours écarlate.

Il paraissait ridicule, dans cet accoutrement, avec ses cheveux trop longs derrière lesquels il essayait vainement d'amenuiser la laideur des séquelles que j'avais à jamais gravées au fer rouge dans sa peau.

Le problème avec les fous, c'était qu'il alliaient à merveille le ridicule et la dangerosité.

— Sérieux ? Le prof d'histoire ? s'ébahit Sirius.

Il n'était pas prêt.

— Ce sont toujours ceux qu'on soupçonne le moins qui se révèlent être les pires, renifla Duncan.

Il n'était pas prêt non plus.

— Tu as pris ton temps, Rose-Elizabeth.

Ce n'était plus la voix du gentil et timide rat de bibliothèque qui me disait qu'il était important de connaître son histoire, mais le grand retour du timbre du gourou sanguinaire. Il me fixait toujours avec cupidité, comme un trésors incommensurable sur lequel il devait absolument mettre la main, qu'importassent les sacrifices.

Je refusais de me sentir comme un objet sous son regard. Je relevais le menton.

— La Lune de sang est à son apogée. Mais elle n'a pas besoin d'être aussi rouge que le sang que je vais faire couler de ton cou délicat, pour que le sort fonctionne.

Je ne répondis rien. À quoi bon ? À la place, je me transformais.

Mes ongles s'allongèrent en griffes sombres. Ma colonne vertébrale se prolongea en une longue et souple queue fourchue couverte d'écailles écarlates. Mes cornes noir et rouge percèrent la peau de mon front, juste sous l'implantation de mes cheveux, se torsadèrent, s'étirèrent vers l'arrière de ma tête avant de pointer vers les étoiles. Mes yeux chauffèrent sous mes paupières. Lorsque je les rouvris, je savais que le monde se dévoilait à moi à travers quatre pupilles couronnées d'iris à la nuance jaune incandescente.

Quelques exclamations stupéfaites me parvinrent. Les regards que posaient sur moi mes parents, mes amis et mon amants me donnaient confiance.

Blade Hunter sourit. La lueur crépusculaire à la surface de ses yeux se fit plus intense durant une seconde. Il tapa du pied. Des bougies s'embrasèrent le long des murs. Rien d'extraordinaire. À l'Académie de Magie, tout était éclairé à la bougie et il suffisait de taper du pied en le voulant pour les allumer. Par contre, le déversement de velours rouges à travers les alcôves et l'apparition du large pentacle rouge au sol, ça, c'était inattendu.

J'aurais voulu – et j'aurais dû – me demander comment le récessif avait fait ça, mais je n'en avais pas le temps : la dernière bataille s'engagea.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant