Car la nuit engendre l'aurore ; 
C'est peut-être une loi des cieux 
Que mon noir destin fasse éclore Ton sourire mystérieux !

Les Contemplations (1856), Extrait de « À celle qui est voilée », Victor Hugo.


† † †


Quelque chose d'enveloppant et de moelleux à la fois, glissa sur moi. Une sensation douce et chaude inonda ma joue offerte.

Mes paupières se décolèrent mollement. Je crus bien que les rideaux avaient été repoussés et la fenêtre ouverte en grand sur le ciel au Zénith. Lorsque je clignai des yeux afin d'éclaircir ma vision et mon esprit, je compris qu'il n'en était rien :

— Ross... souris-je à l'homme qui était agenouillé tout près de moi.

— Désolé, je ne voulais pas te réveiller.

Pour lui montrer que je ne lui en voulais pas le moins du monde, je frottai un peu ma joue contre sa paume.

— Je croyais que tu étais partie dormir depuis longtemps...

— Au début, c'est ce que j'ai fait, mais la promesse de notre discussion reportée me malmenait trop l'esprit. Je souhaitais te parler.

Je rouvris les yeux, un peu plus réveillée.

— C'est vrai... Nous avons laissé la journée et une bonne partie de la nuit filer.

Il acquiesça, puis reprit, l'air embêté :

— Je pensais te trouver assez facilement à la fête orgiaque de Lady Honnora.

Quand il disait cela, je remarquais son élégant ensemble, plutôt sobre, mais qui lui taillait parfaitement, d'un bleu profond illuminé de touche de blanc.

— Tu es joli comme un cœur, vêtu ainsi, soufflai-je.

Il pâlit et j'en fus satisfaite. J'étais de plus en plus convaincu que ce n'était pas un simple blêmissement. C'était quelque chose qui me prouvait qu'il était à la fois gêné et content, mais qu'il cherchait à le dissimuler.

Ce que je trouvais craquant.

— Bref, m'ignora-t-il délibérément. J'ai eu un mal de chien à te retrouver. J'ai fini par me résoudre à passer au peigne fin chaque pièce de ce château. Tu te rends compte un peu du mal que je me donne pour toi ?

— Ta persévérance a payé : tu as trouvé la Belle au Bois Dormant, le taquinai-je encore.

Roscelin se pencha vers moi. Si près que son souffle chaud rosissait ma peau constellée de taches de rousseur, et que j'avais une vue panoramique sur la malicieuse lueur de défi qui s'était allumée dans ses prunelles.

— Cette Belle au Bois Dormant-ci, a-t-elle également besoin d'un baiser pour s'éveiller ?

Je piquais un fard, me redressais. Roscelin appuya un coude sur l'assise du canapé, posa son menton dans le creux de sa main. Le sourire qu'il me lançait m'agaçait autant qu'il me séduisait, car j'étais à peu près certaine qu'il imitait celui dont je l'avais gratifié plus d'une fois.

Roscelin était malin. Il avait vite saisi les règles de mon petit jeu espiègle et se les était réappropriées pour me faire craquer à sa manière.

J'avais créé un monstre.

— Tu veux toujours parler, non ?

Son expression se troubla une seconde à peine. Je ressentis un pincement au cœur à l'idée qu'il se fût senti rejeté ; ce n'était pas ce que je voulais.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant