Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie : 
Dormez, tout espoir, 
Dormez, toute envie !

Sagesse (1974), extrait de « III, V », Paul Verlaine.


† † †


Plus d'un mois plus tôt, j'avais dit, pas trop fort, à Ashe Draco que l'espoir faisait crever à petit feu. Qu'avais-je à dire à propos de l'amour ?

L'amour ?

C'était plus cruel encore.

En me réveillant à la nuit tombée, je découvrais Tann, allongé contre moi. Avec un soulagement indicible, je le serrais dans mes bras en enfouissant mon visage sale dans son si beau pelage roux, entaché. Ma seule consolation fut de savoir que je n'avais plus de larmes pour abîmer davantage sa fourrure. De toute manière, je n'avais plus le temps de pleurer.

On aurait pu croire que Tann était fait de porcelaine de Chine, en me voyant le prendre dans mes bras endoloris – même si j'étais de plus en plus persuadée que Belzébuth ne m'avait pas envoyé un familier comme les autres – et, mon sac-sans-fond pour seul bagage, je me mis en marche. Je devais m'éloigner à tout prix de ces ruines (et de ces cadavres et de la sépulture de notre petite Rhodes).

Privée de cheval, car ils s'étaient tous enfuis, je marchais dans une direction hasardeuse, jusqu'à ce que mon corps n'en pût simplement plus. Je m'effondrai, perdue au milieu d'une forêt que je ne reconnaissais plus. Ou plutôt, que je ne reconnaissais pas encore.

Les troncs, trois fois plus larges que moi, me cernaient à perte de vue. Les branches noueuses cachaient les étoiles pour me plonger dans une obscurité presque totale. Les feuillages denses ne laissaient passer que quelques rares rayons spectraux. Une mousse épaisse, recouvrant chaque centimètre carré de terre, chaque branche et chaque rochers, avait amortit ma chute. Un brouillard floutait tout le paysage autour de moi, transformait les arbres en silhouettes troubles, projetant leurs ombres tordues sur moi, mollement agité par un vent frais. À part Tann toujours dans mes bras, ronronnant pour me rassurer, j'étais absolument seule.

Une lassitude sans précédent m'envahit.

Je voulais que tout s'arrêtât là. Tout, tout, tout. Tous mes problèmes, tous mes poursuivants, toutes mes questions existentielles, toutes mes angoisses, toute ma colère, tous mes espoirs... Tout, tout, tout...

L'une des pages du grimoire de mon coven me revint en mémoire. Ça remontait à si longtemps dans mon passé. Pas parce qu'à l'époque, j'étais à peine adolescente, mais parce qu'il m'était arrivé tant de choses que tous les souvenirs que je gardais d'avant la messe noire me semblaient provenir d'une vie antérieure.

Cette nuit-là, je m'étais glissée dans le grenier, dans la salle du Grand Grimoire. J'avais parcouru cet artefact ancien et puissant, sans aucune supervision...

Bien entendu, j'avais été pincée en deux-deux et mes oreilles avaient chauffé avant que mes mains ne passassent les deux mois suivants à nettoyer les box des créatures plus ou moins odorantes d'un refuge pour familier surnaturels. Peut-être était-ce cette drôle d'expérience qui avait développé en moi cette affection pour les créatures répertoriées dans les bestiaires ?

Mais il y a une chose que je n'aurais jamais oubliée : en tournant les pages du grimoire du coven de Salisbury, j'étais tombée sur de puissants sortilèges. Des sortilèges bénéfiques, certes, mais je me souvenais surtout des sortilèges noirs, ou des sortilèges de sang.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant