Elle était si belle
Que tu n'aurais pas osé l'aimer[...]
Elle était si belle
Qu'elle me faisait peur.Alcools (1913), extrait de « 1909 », Guillaume Apollinaire.
† † †
Après une grasse matinée qui se transforma en grasse après-midi, mes yeux furent ravis en découvrant le visage lisse et endormi de Roscelin. Son auréole sombre était tout ébouriffée autour de son visage calme, sa respiration soulevait doucement sa poitrine, m'effleurait à travers ses lèvres charnues entrouvertes... Que je me surpris à fixer plus que je ne l'aurais dû.
Je secouai la tête et sortis du lit. Je tirai la fine couverture qui avait couvert nos pieds durant la nuit, l'enroulai autour de mes épaules afin de pallier la sensation de froid creux qui m'assaillait.
Une main sur la poignée, une suite de froissement dans mon dos me poussa à me retourner. Même de loin, ces deux ciels enfermés en fiole me happèrent.
- Vous n'êtes pas obligée de filer à l'anglaise, chuchota-t-il d'une voix éraillée.
Il était trop tôt pour parler fort. Le spectacle de ce bel homme au sortir des rêves, une trace d'oreiller sur la joue, cheveux ébouriffés, chemise ouverte sur sa musculature, qui me dévorait du regard avec ses iris d'une nuance telle qu'elle passait pour un cadeau du ciel, et qui me faisait ressentir des choses étranges, me cloua sur place. Je me sentais toute chose, mes joues chauffaient.
Je ne pensais même pas à lui cacher ce détail, trop occupée à plaquer ma main contre ma poitrine pour empêcher une nouvelle embardée à mon pauvre cœur. Trop tard. Je contins une grimace. Mon palpitant était en roue libre, les rênes avaient glissé de mes doigts et il n'en faisait plus qu'à sa tête.
J'aimais cette façon qu'il avait de me détailler, même si je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui brillait dans ses prunelles. J'aimais tellement ça que je voulais rester planter là aussi longtemps que possible, et qu'en même temps, je voulais fuir, car j'étais défiante vis-à-vis de ces... ces... ces (émotions troublées) sensations bizarres.
Je plaçai un index contre ma bouche.
- Mais les vieilles habitudes ont la peau dure.
Je me glissai par l'embrasure. À peine avais-je refermé derrière moi que je me retrouvais nez à nez avec une servante en uniforme. Elle portait un plateau rempli de bonnes choses entre les mains ; entre autres du porridge, des haricots blancs, des lorne sausages, du white pudding et des tatti scones qui me mettaient l'eau à la bouche. Il y avait même du pain perdu ! La servante me fixait, les yeux ronds, détaillant mon allure débraillée à peine sortie du lit et de ma tenue de nuit légère. Ainsi que la porte de Sir Whitelamb !
Oh, elle devait s'imaginer un scénario hollywoodien fabuleux, dans sa petite tête à chignon !
Avec un air de conspiratrice, je posai à nouveau mon index contre mes lèvres et lui fit un clin d'œil. Elle rougit de plus belle. Que c'était drôle de me jouer d'elle !
J'en profitai pour chiper un pain Rowie tartiné de confiture de fruits rouges et m'en aller comme si de rien n'était, croquant à pleines dents dans mon butin.
Après avoir découvert dans ma chambre un plateau-repas équivalent à celui destiné à Roscelin, je m'habillais et me préparais pour reprendre notre chemin à cheval, en compagnie de Roscelin et Rhodes.
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L'Épine & la Plume
ParanormalRose-Elizabeth est la sorcière la plus mauvaise jamais née au coven de Salisbury, tout proche de Stonehenge. Les seuls domaines dans lesquels Rose-Elizabeth est douée sont l'exorcisme et la démonologie. Afin de trouver sa place, la jeune femme est e...