Un beau navire ailé, sur la mer diaphane,
Vogue majestueux comme un aigle qui plane.
Les deux amants sont là, calmes, transfigurés,
Tous deux les yeux fixés sur des yeux adorés.
Un fluide éclatant d'éternelle jeunesse
Fait déborder sur eux des torrents de tendresse.
Flots, soyez transparents comme du pur cristal,
Pour bercer ce doux nid de l'amour idéal !
Que, dans son sein vivant, l'océan qui les porte
Créer en ces deux amants la vie unique et forte !

Merlin : poèmes bretons, Deuxième édition (1887), extrait de « Le royaume de l'amour, III, Métamorphose des deux amants », Louise d'Isolde.


† † †


Je tenais le cœur de mon Ange entre mes mains tremblantes.

Roscelin ne bougeait pas non plus. Je ne savais pas comment il s'était libéré du gouffre de Stonehenge, mais pour lui, cela faisait si longtemps qu'il ne m'avait pas vue. Quatre siècles, immortel ou pas, ça faisait beaucoup.

Je réalisais que sous le halo de ce lampadaire mourant, figée comme une statue de sel, je devais ressembler à un mirage pour lui. Voilà pourquoi il n'esquissait pas le moindre geste dans ma direction.

C'était à moi de faire le premier pas.

Je commençais par mettre un pied devant l'autre, puis courus de toutes mes forces, pour réduire à néant l'espace qui nous séparait. Lorsque je jetai mes bras autour de son cou, je replaçai au passage son cœur dans sa poitrine. Il cogna fort, tout près du mien.

— Salut, lui souris-je.

L'être de marbre reprit vie. Sa lumière répondit à ma chaleur. Roscelin referma une étreinte puissante autour de moi.

— Salutation... articula-t-il comme s'il se trouvait perdu au beau milieu d'un songe.

Roscelin prit possession de ce rêve éveillé. Lèvres, dents, langues. Ce n'était pas doux. C'était enfiévré, enivré, affamé, impatient, fou de bonheur.

Le monde avait finalement implosé. Je ne trouvais que cette explication. Tout avait disparu. Nos épreuves passées et à venir, ce froid qui m'avait si longtemps étreint. Il fallait répondre à un besoin vital. Il fallait rattraper un temps perdu que nous ne pourrions jamais récupérer. Il fallait nous aimer de tout notre corps, de toute notre âme.

Notre âme.

Celle de Roscelin s'étirait vers la mienne. Cette fois-ci, je comprenais comment faire de même. Ça coulait de source, si j'y pensais. C'était comme tendre les doigts pour fourrager dans ses boucles ébène. Nous âmes se retrouvèrent, se fondirent en une, l'espace d'un instant. Nous étions comblés, remplis d'amour et de confiance, profondément compris par l'autre.

J'aimais cela au-delà de toute raison. Je perdais la tête à cause de ses lèvres tendres et avides contre les miennes, sous ses coups de langue, ses mains cavalant le long de mon corps. Le brasier remontait ma colonne vertébrale, muait mon sang en lave. Son sang brillait de passion pour moi. Son auréole était apparue, vibrant plus que jamais.

Une larme dévala ma joue.

C'était si bon. Jamais je n'en aurais assez. Jamais. Quelque part à l'arrière de mon esprit embrumé par le toucher de mon Ange, j'espérai que le temps s'arrêta, que le sable dans le sablier se figea, que ce dernier nous englobe, nous gardât dans les bras l'un de l'autre pour l'éternité.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant