Derrière quelque vieux décombre

Enterre votre corps vanté,À l'heure où les chastes étoiles
Ferment leurs yeux appesantis,

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « Sépulture », Charles Baudelaire.


† † †


À l'opposé de l'entrée de la chapelle, se trouvait une grande ouverture en ogive, donnant sur deux gigantesques cristaux, ovales et translucides. Ils étaient de couleur noire, mais naturellement facettés, afin de renvoyer toutes les couleurs des gemmes incrustées partout sur les parois arrondies de la grotte qui les englobait.

L'un était suspendu au plafond, juste au-dessus de second qui était surélevé à plusieurs mètres du sol. Tous deux étaient maintenus dans cette formation par d'épaisses racines noires et moirées, à l'aspect lisse comme la peau d'un serpent. Ces racines semblaient vivantes, à la fois animées d'une respiration paisible, et parcourues d'un pouls lent.

À l'intérieur de ces cocons minéraux protecteurs, je devinais des silhouettes momifiées. L'une masculine, l'autre féminine.

L'image d'une femme avec quatre pupilles et d'un homme avec un sourire fendant son visage d'une oreille à l'autre, s'imposa à moi, avant de disparaître aussi soudainement qu'elle m'était venue.

— La sépulture de Nephilim et de Lamia...

Leur sacrifice avait-il rendu ces lieux vivants ? Leurs énergies et leurs sentiments s'étaient-ils ancrés dans cette pierre, comme pour offrir à leur descendance une source de magie inépuisable ? Du moins, tant que ce qui avait pris conscience ici ne mourait pas ?

Deux morts pour une nouvelle forme de vie.

Deux sacrifices pour un avenir.

— Alors, tu es sauvée, murmura Roscelin.

J'avais envie de le reprendre pour lui rappeler que nous étions sauvés, mais il se relevait déjà sous les regards suspicieux de nos ennemis. Il était prêt à en découdre. Moi aussi !

Contre toute attente, Roscelin me prit dans ses bras, me blottit tout contre son torse, avant de m'embrasser suavement. Désespérément. Surprise, je lui répondis quand même en m'accrochant à sa chemise, les jambes tremblantes.

Son baiser, aussi délicieux était-il, avait un goût de « plus jamais ».

— Je t'aime, me souffla-t-il.

— Moi aussi... Je t'aime.

J'avais répondu, car je ne savais quelle réaction adopter face à son comportement qui nourrissait une sourde angoisse en moi. Je sentais que je devais absolument lui signifier, à haute voix, que les mêmes puissants sentiments palpitaient en moi et s'embrasaient pour lui.

— Ferme les yeux, m'intima-t-il.

J'obéis sans hésiter.

Son auréole vibra, flamboya. Je me réfugiai plus encore tout contre la chaleur et la fermeté du corps de mon Ange. Mon Ange qui m'enlaçait, me rassurait. J'avais peur. Peur de ce qui allait suivre. Peur de ce qu'il avait en tête. Peur de ce que les Venge'Rouge et Blade Hunter pourraient lui faire.

« Martyrisant l'agneau en pleine ascension »

— Il va attaquer ! Tous à terre !

La déflagration résonna dans la pièce, résonna dans la bête titanesque, résonna en moi. J'entrouvris un œil. Bon nombre de Venge'Rouges s'étaient aplatis au sol. L'attaque de Roscelin n'avait donc pas été aussi efficace que les autres fois.

La roche grondait et vibrait autour de nous.

— Cours à la sépultures et mes le sort en place.

Roscelin ne voulait pas forcément les tuer, réalisais-je, mais créer une ouverture.

Toujours avec une confiance aveugle, j'enjambais les capes de velours écarlates, distribuais quelques coups de pieds ou de griffes bien senties, puis je sautai dans la sépulture de Nephilim et Lamia.

Les cocons en cristal noir iridescent brillèrent à mon approche. Dingue...

Je m'ébrouai. Concentration. Je sortis de mon sac-sans-fond le paquet que Spike et Axar m'avaient donné, déballais chaque ingrédient. Après avoir lu la notice en diagonale, je traçai le pentagramme après m'être entaillé la main pour mélanger mon sang à l'encre rouge fournie par Salathiel. Je tremblais de tous mes membres, mais je faisais aussi vite et bien que je le pouvais.

De son côté, Roscelin avait dégainé sa broadsword. Il défiait les Venge'Rouges, les combattait un à un, puis tous en même temps. Même lorsqu'il était touché, il répliquait dans un cri de rage animal.

Je ne savais pas où il trouvait encore les ressources pour se battre. L'énergie du désespoir, peut-être ? Ou alors, au contraire, celle de l'espoir ? L'espoir que nous nous en sortîmes, ensemble, afin de vivre heureux, ensemble, à mon époque.

Oui. À mon époque, nous serions enfin en sécurité. Cette idée seule m'animait pour mettre en place la suite du sort. Il était complexe : composé de plusieurs pentagrammes superposés, entrelacés, concentriques. Les symboles qui les composaient étaient nombreux et difficiles à reproduire, eux aussi. Mais chacun avait son importance. Je ne pouvais négliger aucun détail. Pas même la disposition de chaque artefact pointant vers l'est, là où la Lune et Soleil se levaient.

Bordel. Où était l'est ?

Il y avait une boussole dans le paquet de Salathiel. Il avait tout prévu !

La boussole tournait dans tous les sens, incapable de trouver le nord.

Salathiel n'avait pas tout prévu.

Je sortis ma baguette de mon corset, lançai un sort pour trouver l'est, mais n'obtint aucun résultat. Ma magie était finalement aussi perturbée que la magnitude terrestre de Stonehenge...

OK. J'allais négliger quelques détails tels que le positionnement à l'est des artefacts. Ça ne pouvait pas gâcher tout le sort, n'est-ce pas ? Naaan, ça ne pouvait pas gâcher tout le sort. Y'avait pas intérêt à ce que ça gâchât tout le sort.

J'avais presque terminé lorsqu'une nouvelle déflagration faillit me faire renverser mon encre ensanglantée. La date était tracée. Il ne me restait plus qu'à préciser l'endroit où nous devrions atterrir, alors qu'un nouveau grondement faisait vibrer la pierre tout autour de nous.

Des stalactites se décrochaient du plafond, directement sur des Venge'Rouges. Roscelin avait levé un bras pour se protéger sous un bouclier lumineux. Les grottes vibrèrent de plus en plus fort. C'était un véritable séisme !

— Ross ! Viens vite ! J'ai presque fini !

— Termine ! Je les retiens !

J'admirais son attitude héroïque, mais en l'instant, elle me faisait surtout peur pour lui. Roscelin était submergé par le nombre et la fatigue. En désespoir de cause, il lança une nouvelle attaque grâce à son auréole. Des pans entiers de murs s'affaissèrent.

Il y avait des membres écrasés, éclatés, disloqués, des crânes broyés, de la cervelle, des viscères, du sang... partout. Une odeur de fer capitonnait mes narines. Je ravalais une nouvelle remontée acide.

Ici, il y aurait des ossements. Bientôt.

Un hurlement en particulier attira mon attention. Roscelin trébuchait en arrière, appuyé sur son épée, son bouclier toujours levé au-dessus de sa tête. Il faisait face à Blade Hunter, son sourire sadique, son regard débordant de folie et son épée ensanglantée. Une plaie béante déchirait la joue gauche du brun, de sa tempe jusqu'à son menton.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant