« Je suis tout à fait de votre avis, répondit la duchesse ; et la morale de ceci, c'est : soyez ce que vous voudriez avoir l'air d'être ; ou, pour parler plus simplement : ne vous imaginez pas être différente de ce qu'il eût pu sembler à autrui que vous fussiez ou eussiez pu être en restant identique à ce que vous fûtes sans jamais paraître autre que vous n'étiez avant d'être devenue ce que vous êtes. »

Alice au Pays des merveilles (1865), Lewis Carroll.


† † †


Ce miroir-ci n'était pas vieillissant. Ses pattes de lion, disposées aux coins inférieurs, n'essayaient pas de griffer des lutins et des chatons qui passaient à proximité. Mon reflet ne bougeait pas indépendamment de ma volonté, non plus. Au contraire, il était statique. Il me fixait avec scepticisme.

J'avais cette belle robe de velours rouge qui dégageait mes épaules et mettait en valeur ma poitrine, ses jupes volumineuses, cette dentelle noire et douce, cette touche de rouge sur mes lèvres. Tout ça, c'était très sympa.

Ce qui me convainquait le moins était ce chignon qui me donnait des allures de dame mature – plus que je ne l'étais –, accessoirisé de fleurs estivales. La femme de chambre de la marquise avait bien essayé de me faire ces fameuses boucles en anglaises – des serpentins, comme elle les avait appelés –, dignent des plus beaux cupcakes, pour encadrer mon visage. Mais j'avais refusé net. Je préférais nettement mes boucles naturelles, déjà volumineuses, même si elles étaient trop caractérielles pour être en accord avec les canons baroques...

Que faisais-je là ?

N'étais-je pas censée me rendre au plus vite à Salisbury dans l'espoir qu'un vieil Alchimiste me ramenât à mon époque ? N'étais-je pas censée retrouver au plus vite mes proches, ma place, essayer de comprendre pourquoi tout cela m'arrivait, pour comprendre qui j'étais, ce qu'on attendait de moi, ce que je devais faire ?

Au lieu de ça, je m'apprêtais à participer à un bal mondain...

— Ma chérie, comme vous êtes belle !

— Marci Lady Leitis, souris-je lorsqu'elle fit irruption, telle une tornade de brocart jaune tournesol, de fleurs de camélia, de bouclettes poivre et sel et de quartz rose.

Rhodes resta planter dans l'encadrement de la porte, tripotant ses doigts. Vêtue en conséquence, elle était évidemment adorable, mais elle semblait toute embarrassée d'avoir troqué ses habits de garçon de campagne ; entre deux maltraitements de doigts, elle lissait machinalement ses jupes.

— Vous êtes ravissante vous aussi, Rhodes.

Elle releva ses yeux surpris si vite que j'eus peur pour ses cervicales.

— Vrai... Vraiment, miss ?

Sa toilette, à la coupe sobre, mettait en valeur son teint doucement bronzé grâce à la couleur bleu œuf de merle de la soie mat dans laquelle elle avait été taillée. Pour compléter la parure de perles blanches délicate qui pendait à ses oreilles et à son cou, ses cheveux châtains étaient ramassés en chignon tressé, décoré de myosotis.

— Bien sûr.

Ses joues se colorèrent comme des bourgeons de rose dès que son visage s'illumina d'un sourire.

— Mais c'est certainement vous qui serez la plus belle ce soir ! s'exclama l'adolescente avant de plaquer ses mains sur sa bouche. Oh, pardon Lady MacMhatha...

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant