Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,

Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « Sed non satiata », Charles Baudelaire.


† † †


Je me jetais sur Roscelin pour le pousser hors de la trajectoire de la flèche enflammée qui se ficha dans la roche.

— Tuez-le !

— Attrapez-la !

— Sacrifions-la !

Les Venge'Rouges étaient remontés jusqu'à nous. Ils avaient pris leur temps.

Je jetais mes flammes à leur encontre. Sauvages, imposantes et mugissantes. Le seul souci, c'était qu'il n'y avait rien d'inflammable sous terre. Hormis les membres de la secte eux-mêmes. Quelques-uns prirent feu, la plupart furent secourus par leurs pairs, mon mur enflammé s'essoufflait bien vite.

Merde !

Roscelin m'enveloppa de ses bras et de ses ailes, une main sur l'arrière de ma tête pour m'enjoindre à me presser contre lui. Il pencha la tête du côté de nos assaillants.

La déflagration lumineuse de son auréole me fit frémir des pieds à la tête. Cette puissance divine m'effrayait toujours autant. En aucun cas parce que j'avais peur de Roscelin, mais parce que je sentais à travers chaque fibre de mon corps que cette force ne ferait qu'une bouchée de moi et qu'elle était à l'opposé de tout ce que je connaissais, de tout ce que j'incarnais, en termes de vibration magique.

Que pensait mon brun des incendies et des Démons que j'étais capable d'invoquer ?

Il devait trouver ça chouette, car, moi, je trouvais son auréole très cool.

La terre frémit, gronda. Partout autour de nous. Sous nos pieds, au-dessus de nos têtes. Je rouvris les yeux en me détachant de Ross. Les paroies avaient été salement amochées par son attaque. Quelques Venge'Rouges avaient été atteint, mais c'était surtout le tunnels qui avait ramassé...

— C'était pas une bonne idée, tout compte fait...

— Nan... confirmait-je alors que des fragments du plafond pleuvaient.

À peine trois pas en direction du tombeau plus tard, un bloc s'effondra sur nous. Roscelin me serra contre lui tout en levant un bras pour protéger sa tête.

On allait mourir aplatie comme des crêpes !

Un bouclier translucide s'ouvrit. Roscelin s'en servit pour lancer la roche vers les Venge'Rouges qui n'abandonnaient pas. Ce fut comme assister à un jeu de bowling d'un nouveau genre.

Oh ! il était incroyable, mon Ange !

Mes flammes n'avaient aucun point d'accroche, Roscelin n'avait pas la place de déployer ses ailes et ne pouvait pas utiliser son auréole sous peine de nous ensevelir vivants... Ne nous restait plus que la fuite. Avec des yeux transis d'amour, je suivais en courant mon Ange qui me tirait par la main.

Nous nous enfoncions toujours plus profondément sous terre. Les types de sédiment changeaient, palier après palier. Les ossements se faisaient de plus en plus rares, signe que nous faisions partie des rares à être parvenu aussi loin. Les pierres lumineuses prenaient progressivement le pas sur les racines phosphorescentes qui ne devaient pas être capables de creuser si loin.

L'adrénaline sapait toute douleur, même celle de mes jambes et de mes poumons en feu. Je ne savais pas vraiment ce qu'avait fichu Ross avec son auréole, mais les tunnels ne cessaient de trembler et de s'affaisser.

Une peur nouvelle me sauta à la gorge : et si Stonehenge avait reconnu la magie céleste de Roscelin, et qu'il la rejetait ? Raison pour laquelle les tunnels se seraient agités comme des boyaux cherchant à nous digérer vivants ?

On était mal. On était très mal.

Un nouvel embranchement se profilait : à gauche, un banal escalier en pierre, et à droite, un passage inondé d'une eau noire. Sans hésiter, nous choisîmes l'inconnu terrifiant de ces eaux souterraines. Sauf qu'un monceau de roche tomba juste devant nous. Je pilais, entraînais Ross vers l'escalier. Tant pis pour les indications de Spike et Axar. Nous n'avions pas le temps de bouger des gravats !

Nous descendîmes une volée de marques avant de nous retrouver à patauger jusqu'à la taille. Apparemment, nous devions finir trempés, qu'importe notre choix. Nous nous faufilâmes à travers un soupirail.

Je n'eus même pas le temps de crier lorsque Roscelin disparut d'un seul coup. Je le suivis dans la seconde. Nous glissions le long d'une gouttière, comme dans un toboggan infernal. J'avais mal au cœur. Nous prenions de la vitesse, incapables de nous rattraper à la paroie lisse et humide, prenions la tasse sous ses flots noirs et tumultueux, percutions la pierre lors de tournants abrupts. C'était le Styx qui nous emmenait vers les Enfers, mais sans barque. Les hurlements des Venge'Rouges qui avaient hésité à nous suivre faisaient écho à nos propres cris apeurés.

Vil Diable ! jusqu'où allions-nous glisser à cette vitesse ?

Nous débouchâmes dans un bassin dans lequel, ni Roscelin, ni moi, n'avions pied. Crachotant, nous sortîmes de l'eau noire, trempés jusqu'au os. La seule bonne nouvelle, c'était que nous avions été nettoyés du sang et de la saleté qui nous couvrait... façon tambour de machine à laver lancée en mode intensif.

Pas loin, il y avait une ouverture en ogive, sur laquelle débouchait un escalier composé de marches égales, semées de gemmes phosphorescentes. Ce même escalier que nous n'avions pas pu emprunter à cause d'une roche écroulée. Il semblait me faire un doigt d'honneur. Je m'évertuais à entretenir des pensées positives : le résultat était le même, nous avions débarqué dans une nouvelle coupole, aussi vaste que la première.

C'était tout ce que j'espérais :

— Astaroth ! Vlad ! Dante ! Je vous invoque !

Trois cercles rouge sang, aux allures acérées, s'ouvrirent. Les Venge'Rouges inondaient la place aux murs hachurés et au plafond composé de stalactites. Le Duc des Enfers, le Démon de la maladie, la Goule et ses subalternes étaient déjà implantés dans ma dimension. Quelque peu saisis, ils observaient les entrailles de Stonehenge et le nouveau bourbier dans lequel nous nous étions fourrés, circonspects.

— Il faut juste que vous gagniez du temps ! Ne risquez pas votre peau ! Si vous êtes blessés, retournez au Jardin. Ils sont plus coriaces qu'ils en ont l'air. Ce sont tous des récessifs bien entraînés !

Des récessifs qui dégainaient tous une lame ensorcelée, nimbée de brume noire. Manifestement, ils savaient tous comment se battre contre des Démons, et ils étaient foutrement nombreux. Tout un groupe donnait déjà le change à Dante, ses griffes et son sourire en forme de croissant de lune rouge.

— Pas d'inquiétude, Rosabeth, me rassura Vlad avec ses yeux de grenat brillant d'anticipation.

— Contentez-vous de filer, j'aimerais autant être libéré à la même époque qu'à celle ou tu m'as lié à toi.

Du Astaroth tout craché. Son inquiétude envers nous et sa colère à l'encontre des Venge'Rouges étaient pourtant perceptibles. C'était comme un fil qui me reliait à lui, que je pouvais palper pour comprendre sa texture, sans pour autant connaître tous les secrets de sa constitution et de sa fabrication. Ça fonctionnait dans les deux sens. Ils étaient vraiment liés à moi, comme j'étais lié à eux.

— Soyez prudents, les priai-je une dernière fois avant de m'engouffrer dans une galerie.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant