Templiers flamboyants je brûle parmi vous
Prophétisons ensemble ô grand maître je suis 
Le désirable feu qui pour vous se dévoue 
Et la girande tourne ô belle ô belle nuit

Alcools (1913), extrait de « Templiers flamboyants je brûle parmi vous », Guillaume Apollinaire.


† † †


Me réveiller dans des endroits inconnus et incongrus semblait être devenu la dernière mode, chez moi.

J'ouvris un œil comme si j'effectuais un bon de six-cent-soixante-six mètres de longueur au-dessus du vide. Mon corps était un champ de ruines, et mon esprit ne respirait pas franchement la fraîcheur, ni la légèreté bucolique d'une plaine printanière baignée de Soleil.

Bref, c'était pas un réveil d'Enfer.

Une petite arrière-cour mal aménagée et humide m'accueillit. Quelques lumières s'élevaient vers les cieux, sans pour autant entrer en concurrence avec les étoiles semées dans le ciel parcouru de voiles nuageux. Sans doute des bougies de lampadaires... Ce devait être une assez grande ville. Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit dans lequel on m'avait emmené.

On ne voulait pas m'entendre, ça, par contre, c'était certain. Mon meilleur indice ? Le bâillon qui tirait sur les commissures de mes lèvres. Pompon sur la Garonne, mes poignets étaient liés dans mon dos.

Encore.

Il y avait quelques petites nouveautés, tout de même. Ce n'était plus des cordes, mais des fers qui imprimaient de profondes marques dans ma peau, et j'étais maintenue contre un mât en bois, au sommet d'une sorte de plateforme créée à partir d'un amoncellement de branches d'arbre et de fétus de paille.

Un bûcher.

L'horreur glaça mon sang dans mes veines. J'aurais pu le sentir se transformer en caillots froids partout dans mon corps et observer les glaçons rouges enfler sous ma peau, au même rythme que mon angoisse.

Non, pas de l'angoisse. Une terreur pure. Du genre qui empêchait complètement le cerveau de fonctionner et qui ne laissait plus place qu'à un violent et sauvage instinct de survie.

Survivre.

Survivre, survivre, survivre, survire... Survivre !

Je devais à tout prix survivre pour que Blade Hunter ne pût utiliser mon sang à dessin. Quel dessin exactement ? Quelques idées, par-ci, par-là, me traversaient l'esprit, mais cette la terreur m'empêchait de cogiter correctement, justement. Par contre, ce n'était pas difficile de deviner que c'était moche et que ça faisait peur, comme dessin. Façon psychopathe sans cacheton échappé de l'asile.

Un psychopathe sans cacheton échappé de l'asile... qui avait à présent une Pierre philosophale, me rappelais-je subitement. Mon estomac devait ressembler à un étang vidé de son eau à force d'y jeter des pierres.

Et Tann n'était même pas là... D'un côté, j'étais soulagée de savoir qu'il s'était enfui, car, après avoir sauté au visage d'un Venge'Rouge, je l'avais vu détaler sous un meuble en me voyant reprendre du poil de la bête. D'un autre côté, mon beau chat au pelage de feu était l'ultime repère qui me restait. Maintenant, je ne savais plus comm...

La porte arrière du bâtiment face à moi s'ouvrit. Le grincement sembla tordre le cou au calme de la nuit, seulement troublé par la rumeur de la ville. Je me relevais aussi vite que je pusse, contre le mât, même si je ne me sentais absolument pas plus forte dans cette position. J'étais toujours attachée sur un bûcher de sorcière.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant