Épilogue † Chrysanthème

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« Vous et moi, pour l'éternité »


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La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
[...]
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,

Capitale de la douleur, 1926, extrait de « La courbe de tes yeux », Paul Eluard


† † †


La tête de vipère finit de boire goulument son biberon. Cette petite friponne d'Hydre était une véritable morfale. Il en fallait de l'énergie, à ce drôle de bébé à écailles pour guérir. Alors je dégainai le cinquième biberon en une heure. C'étaient les seules armes dont j'avais usage depuis des années.

J'avais quitté l'Ordre, quitté le Coven de Salisbury. Quitté Salisbury tout court. On avait bien tenté de me retenir, de me convaincre de rester pour œuvrer à l'instauration de notre nouvel équilibre. On m'avait même proposé une place au Conseil de la Guilde des sorciers et sorcières – que nous ne pouvions plus appeler le Conseil des Lamias et Nephilims. J'avais refusé net.

Beaucoup n'avaient pas compris ce choix. Certains m'avaient même traitée d'égoïste. Je foutais la pagaille dans le monde surnaturel et je n'avais pas le courage de rester pour remettre de l'ordre ? Moi, je trouvais que j'en avais déjà bien assez fait. Je méritais une retraite anticipée. Mes proches m'avaient soutenu dans ma démarche, et c'était tout ce qui avait compté pour moi, à cette époque.

Dix ans que j'avais rejoint Roscelin à Feathorne, sa vaste et belle propriété du Ross Shire, dans les Highlands. Dix ans que je faisais de ces vieilles pierres ma citadelle. Dix ans que j'avais fondé ce refuge pour créatures surnaturelles. Dix ans que nous vivions paisiblement, loin du chahut du monde nocturne. Dix ans qu'une sorcière et un Ange vivaient en concubinage, à la barbe et aux yeux de tous, cachés derrière leurs murailles couvertes de ronces et de lierre.

Ça me faisait toujours autant sourire.

En clair, dix ans que j'étais aux Anges !

— C'est à moi de le faire !

— Non, à moi !

— Mais qu'est-ce que vous racontez ? C'est à moi de le faire !

Esmeralda, Iglesias et Safre se disputaient pour savoir lequel allait nourrir l'alicorne noire arrivée récemment. C'était un être rare et délicat, que nous devions soigner avant de la relâcher en lieu sûr. Les trois diablotins s'enguirlandaient depuis une semaine dès qu'il fallait aller la bichonner.

Je plaquais ma main sur ma bouche pour ne pas rire trop fort d'eux.

Ces trois diablotins n'étaient pas les seuls Démons à être restés sous mes ordres. Au contraire, beaucoup de leurs semblables étaient venus grossir mes rangs. De leur plein gré, qui plus est. Apparemment, la rumeur de mes bons soins en tant que maîtresse démoniaque s'était répandue comme une traînée de poudre, en Enfer, comme sur Terre.

Dante était toujours là, jouant à courser quelques pauvres brownies qui passaient par là, lâchant des fleurs sauvages et des roses multicolores pour mieux prendre leurs jambes à leur cou. Le tout, sous le regard suspicieux de Tann qui se dorait la pilule, sur sa branche habituelle, dans le chêne ombrageant la cour du domaine.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant