VIII

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En vain j'ai voulu de l'espace
Trouver la fin et le milieu ;
Sous je ne sais quel œil de feu
Je sens mon aile qui se casse ;

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « Le Léthé », Charles Baudelaire.


† † †


Jamais ma main n'atteindrai Roscelin avant que celles de Venge'Rouges ne me capturent. Au regard de mon brun, je devinais qu'il pensait comme moi.

— Rosell, à couvert !

Sans réfléchir, je me jetai au sol. Je risquai malgré tout un coup d'œil en direction de mon Ange. Quand il fixait mes poursuivants, sa rage et sa haine ne laissaient plus deviner la beauté divine de ses traits. Il inclina la tête de côté, vers les capes de velours. Son auréole, un fin anneau de pure lumière vibrante de puissance, flamboya. Je fermais instinctivement les yeux en me recroquevillant sur moi-même.

Une déflagration lumineuse fusa au-dessus de moi. Elle me tétanisa. J'en arrêtais de respirer. Comme si faire la morte avait pu m'en préserver. Je sentais que c'était mortellement efficace. Je sentais que c'était une énergie lumineuse complètement à l'opposé de celle, sombre, à laquelle j'étais familière. Et je sentais que c'était celle de Roscelin, alors, ça devrait aller. Rien venant de lui ne me ferait jamais de mal.

Le souffle court, je regardais derrière moi. C'était un carnage. Les Venge'Rouges à cent mètres de distance de l'épicentre avaient été coupés en deux. Il n'y avant pas de manière détournée, ni plus précise pour le décrire. Juste, sectionné.

Les Venge'Rouges eux-mêmes étaient choqués ; ils n'esquissaient plus un seul geste dans ma direction. Puis ceux rescapés de l'attaque, prirent conscience de leurs membres coupés. Je ne fus plus la seule à hurler de peur, de douleur, de folie.

Chacun de mes muscles se rebiffa lorsque je m'élançai vers Roscelin. Il m'accueillit dans ses bras, plaqua d'abord ses mains sur mes oreilles, pour me protéger des cris terrifiants des Venges'Rouges. Avide et entêtée, je dégageais immédiatement ses mains pour les placer ailleurs. Il répondit à mon appel.

Sa chaleur, sa douceur, son odeur fraîche d'altitude, sa voix grave qui ne murmurait que pour ravir mes oreilles, ses mains sur moi, ses lèvres qui dévoraient les miennes. Je retrouvais Roscelin. Enfin.

Je réalisai seulement maintenant l'amplitude du vide qui s'était creusé en moi. L'abysse se combla si brusquement que je manquais de flancher. Roscelin me retint contre son torse, et je me reposai sur lui. Chacun de ses baisers, de ses mots tendres, m'apaisait, effaçait mes fêlures.

Nous ne nous séparâmes que lorsque le manque d'air nous y força. À bout de souffle – et pour la première fois depuis longtemps, pas à cause d'une course pour ma survie – je levai le front pour qu'il y posât le sien, comme il aimait. Et comme j'aimais.

— Salut... mon Ange.

— Salutation, miss sorcière, sourit-il.

Il se figea soudain. Ses yeux détaillaient le moindre de mes détails : mes vêtements en lambeaux, mes griffes cramoisies, mes cornes, mes yeux...

Mon cœur me faisait mal, lorsque cet Ange plein de beauté, de santé et de bonté me fixait ainsi. Je reculais d'un pas.

— Je te fais peur ?

Contre toute attente, Roscelin se rapprocha de moi, son souffle se mêlait de nouveau au mien et, délicatement, il repoussa une boucle sauvage de ma pommette ensanglantée. L'inquiétude qui perçait son regard trop bleu me remua du fond de l'âme. Il ne fixait pas mon apparence nouvelle. Il jaugeait les dégâts physiques qu'on m'avait infligés – sans doute pour savoir à quel degré il devrait se venger – tel que mon visage abîmé, mes phalanges ravagées, mes jambes battues, mon bras tailladé... Et j'en passais des vertes et des pas mûres.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant