XVII

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Ah ! race d'Abel, ta charogne 

Engraissera le sol fumant ! [...] 
Race de Caïn, au ciel monte, 
Et sur la terre jette Dieu !

Les Fleurs du mal (1861), extrait de « Abel et Caïn, II », Charles Baudelaire.


† † †


J'avais vraiment cru que filer entre les doigts d'une bande de fous furieux extrémistes serait si facile ?

Hilarant.

Une course-poursuite dans la nuit, la forêt et la brume, ça manquait à mon palmarès. Les sabots de nos poursuivants grondaient derrière nous, leurs éclats de voix faisaient trembler mes entrailles. Un carreau d'arbalète se planta devant les sabots de Hex. Mon cheval se cabra en hennissant, m'éjecta de son dos.

— Miss !

— Rosabeth !

Rhodes essayait d'attraper les rênes de Hex et Roscelin me tendait la main pour que je montasse avec lui. Les Venge'Rouges talonnaient toujours plus leur montures, droit sur nous. Un second trait faillit empaler mon pied. Je sursautai.

Et mon pied rencontra le vide.

Je tombai en arrière. L'humus amortit ma chute. Les branches et les cailloux éraflèrent ma peau. Je protégeai mon visage avec mes bras, incapable de m'empêcher de rouler. La chute me parut interminable. Jusqu'à que le terrain redevint plat... et qu'un ruisseau à moitié asséché m'arrêta.

Vil Diable... Ce genre de chose n'arrivait qu'à moi.

Je me redressai péniblement, les troncs d'arbre dansaient en ronde autour de moi. Je glissai dans la gadoue, sortie du lit du ruisseau, crachai la boue qui s'était infiltrée dans ma bouche. J'en étais couverte. Trempée, aussi.

Génial.

La pente qui me faisait face me dissuada d'essayer de la remonter, tout autant que le flot de capes de velours rouge que je devinai à la poursuite de mes acolytes.

À l'entente des cris qui s'éloignaient vers le sud-ouest, je compris que Rhodes et Roscelin s'étaient enfuis de leur côté. J'exhalais une forme de soulagement. Mieux valait qu'ils pensassent à leur sécurité, d'abord.

Des Venges'Rouges me remarquèrent depuis la surélévation. Dans une nouvelle vague d'éclats de voix hargneuses, les plus réfléchis se lancèrent à la recherche d'un accès donnant en contrebas. Les plus téméraires empruntèrent cette pente vertigineuse.

Moi aussi, je devais songer à ma sécurité !

Pas le temps de me marrer devant le spectacle de roulés-boulés de velours qu'ils m'offraient ; je pris mes jambes à mon cou. Je courrai entre les arbres, esquivai les branches basses, sautais par-dessus les troncs couchés, trébuchai contre des racines, accélérai encore et encore en sentant mes ennemis raccourcir la distance entre nous.

Le seul point positif dans toute cette histoire, était que je portais toujours mon uniforme militaire de l'Ordre. Pour une fois, je n'avais pas trois couches de jupes et je n'étais pas baleinée pour courir à en perdre haleine. C'était bien parce que c'était rapide à résumer que je commençais par là. La liste de ce qui n'allait pas dans ma situation était trop longue et évidente à énumérer...

Quelque chose enserra mes jambes. Quelques feuilles mortes et autres brindilles s'envolèrent lorsque je m'écrasai au sol, avec une grâce pachydermique.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant