Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi

Et ceux qui craignent les brûlures

Alcools (1913), Extrait de « Le brasier », Guillaume Apollinaire.


† † †


Je n'étais plus une sorcière sur un bûcher. J'étais le bûcher. Et chaque personne qui me voudrait du mal serait ma victime, sans procès. Tout cramait sous mes yeux.

Je fis craquer ma nuque et rouler mes épaules, une grimace au visage. Je ne savais pas trop si j'avais mal partout, ou si j'étais toute engourdie, mais j'étais toujours attachée au sommet de ce bûcher, les mains menottées dans le dos.

Les flammes.

Partout.

Elles remontaient le long de la boulangerie en colombage, du mur d'enceinte en bois de l'arrière-cour, s'attaquait à ma robe à rayures verticales.

Théoriquement, une sorcière ne pouvait pas être brûlée par ses propres flammes, mais si elle en perdait le contrôle, ou que le feu résultat d'une attaque, la chair roussissait comme celle d'un humain.

Je savais que ces flammes-ci ne me feraient aucun mal.

L'étape suivante de mon plan qui se dessinait au fil des secondes, était de me libérer. Vaseuse, j'essayais de me souvenir des techniques que l'Ordre m'avait enseignées pour me libérer sans magie. On nous inculquait comment économiser au maximum notre énergie, car on ne savait jamais pendant combien de temps on aurait besoin de se battre.

À tâtons, je cherchais l'articulation entre mon pouce et la paume de ma main. Je pris une profonde inspiration, dents serrées. Ça allait faire mal. D'un coup sec, je déboîtai mon pouce de son axe.

Je tentais de retenir mon cri de douleur mêlé de frénésie, mais il finit par m'échapper. Avec des râles de souffrance, je fis coulisser la menotte le long de ma main. Je remis immédiatement mon pouce en place dans un craquement douloureux qui se propagea dans tout mon bras. Heureusement, la sensation disparut aussi brusquement qu'elle était apparue. Je me redressais en m'appuyant sur le mât, déjà grignoté par les flammes.

En contre-bas, un homme n'avait rien manqué de la scène. Il avait le teint cireux. Je sautais de mon estrade, à la manière d'un chat qui n'en avait plus rien à faire d'avoir été remarqué par la souris, car il savait que sa proie n'avait plus aucune chance.

— Tu es vraiment une Démone, finalement.

Je penchai la tête de côté. Comment ça ?

Au milieu de cadavres dévorés par l'incendie, le Venge'Rouge, lui-même brûlé, se redressa en brandissant une épée ressemblant à celle de D'Artagnan. Il se jeta sur moi, non sans une bonne maîtrise.

J'étais désarmée, mais j'avais été entraînée à ça. Je fis un pas de côté, glissai mon bras en avant, le long de la lame, tourbillonnai sur moi-même, assénai un coup à la tête de l'homme dès que je me retrouvai derrière lui. Il trébucha en avant, retrouva l'équilibre, se retourna vers moi, le visage déformé par ses espoirs de meurtre.

Il recommença son petit manège. La chaîne de mes menottes pendait toujours à mon poignet gauche. Je l'enroulai autour de la lame, tirai un coup sec pour attirer mon ennemi à moi. Il me donna un coup de coude au visage. Je resserrai ma prise, passai la chaîne derrière sa nuque, tirai vers le bas tout en remontant mon genou. Je le libérai aussitôt et il bascula violemment en arrière, le nez en sang. Mon enchaînement fluide, presque gracieux, me donna satisfaction.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant