Ma pauvre muse, hélas ! qu'as-tu donc ce matin ? 

Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, 
Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint 
La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

Les Fleurs du Mal (1857), extrait de « La muse malade », Charles Baudelaire.


† † †


La porte se referma dans mon dos, comme une exhalation tremblante. Une pluie de grêle et un vent de feu me balayèrent en même temps. Une fatigue inextricable s'abattit sur moi. Des maux de tête enflèrent dans mon crâne. La fièvre et les frissons galopèrent à travers mes veines. Une main de brume glacée brûla mes poumons en les empoignant. Des cloques firent pression sous la surface de mon épiderme.

Dans un sursaut, je passai ma main sur ma gorge. Ma peau était lisse. Les sensations disparurent aussi vite qu'elles étaient apparues.

Rhodes me fixait, inquiète. Avait-elle ressenti la même chose que moi ?

— Êtes-vous sûre de vouloir rester héberger ici ? intervint la moniale.

Je pris conscience que nous nous trouvions dans une hostellerie.

Remplie de mourant.

Des lits avaient été installés en rangée et en lignes serrées, mais, manifestement, la place était venue à manquer : certaines personnes étaient étendues au sol, sur une litière ou une paillasse. Leurs visages ressemblaient à de vieux papiers journaux : à l'encre brouillée, à la teinte grisâtre, parfois jaune comme s'il avait été laissé trop longtemps à désécher au Soleil. Les patients étaient globalement amorphes, luisant de sueur, et la fièvre brillait dans leurs yeux mi-clos. Quelques-uns avaient la chance d'être emmitouflés, beaucoup se contentaient d'une couverture de fortune. Le plus répugnant était évidemment ces plaies ces bubons qui cloquaient, ici et là. À quelques mètres, seulement, une femme se mit à tousser des postillons rouges et laiteux et des infirmières dont les visages étaient cachés derrière des masques en forme de tête de corbeau fourré d'herbes médicinales vinrent à son aide – bien que je doutasse qu'elles puissent vraiment faire quelque chose.

Je levai un pan de ma cape trempée pour le plaquer contre mon nez et ma bouche. Au-delà de l'odeur de tabac, d'eau de rose et de vinaigre, il régnait ici un miasme de maladie, de contagions, de mort imminente qui calfatait la gorge et les poumons comme la suie dans un conduit de cheminée.

— Est-ce la peste ? souffla Roscelin, avec une réaction similaire à la mienne.

— Oui, répondit sobrement la moniale.

La petite Rhodes se rapprocha de moi, se cacha dans mon dos sans oser prendre ma main. Je dégageais un bras de ma cape pour le passer autour de ses épaules. L'adolescente lançait des regards furtifs vers les malades, la mine inquiète et désolée. Puis elle se pelotonna contre mon flanc.

— Mais, je croyais que la peste avait disparu en 16... Enfin, je veux dire : je croyais que la peste avait enfin été endiguée, à Londres ?! m'ahuris-je tandis que mes chapitres d'histoire se bousculaient dans ma cervelle.

— Je ne sais pas qui vous a dit ça, mais c'était un mauvais colporteur. À Londres, l'épidémie ne fait que se calmer petit à petit, à ce que j'ai entendu dire... De plus, nous ne sommes pas à Londres. Êtes-vous certains de ne pas préférer la pluie ?

— À vrai dire...

— Oui, coupai-je Roscelin. Ce n'est pas une simple pluie, dehors, mais un véritable déluge.

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant