Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, 

Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !

Les fleurs du mal (1857), extrait de « L'Horloge », Charles Baudelaire.


† † †


Un nouveau tourbillon de souvenirs m'entraîna dans la passé. Ou plutôt, dans le futur. Vers une matinée d'automne que je croyais si banale, autrefois :


— Toutes mes excuses, miss.

Je levais les yeux sur un homme, sans doute plus âgé que moi. Sa joue gauche, déchirée en deux de sa tempe jusqu'à la fossette à son menton par une balafre blanchie, attira de suite mon attention. Ses yeux fixaient les miens sans broncher alors que je savais très bien que je n'avais jamais un regard avenant. Ils étaient bleus comme le Paradis. Ils s'arrondirent presque imperceptiblement.

— Rose-El...

Je dressai un sourcil.

— On se connaît ?

Il cilla comme s'il s'extirpait d'une rêvasserie.

— Excusez-moi, j'ai confondu avec une vieille amie, expliqua-t-il en proposant sa main pour me relever.

Je me surpris à l'accepter et il me rendit mon miroir brisé.

— Vous allez bien ? Je ne vous ai pas fait mal ?

Je ne pus non plus empêcher un petit rire sardonique de chatouiller ma gorge.

— Vous êtes un Ange de vous inquiéter pour si peu...

Je claquai mes dents les unes contre les autres lorsque je me rendis compte de ce que je venais de dire. Depuis quand je traitais les gens d'Anges, moi ? Et il me regardait, dans l'expectative que je dégageasse cette araignée que j'avais collée au plafond.

— Bref... Salut, dis-je en tournant les talons.

L'inconnu marmonna quelque chose que je ne discernai pas. Je ne me retournai pas pour comprendre, le trouvant presque aussi bizarre que moi.


C'était lui depuis le début...


Il n'avait pas dit « Rose-El », comme je l'avais cru à l'époque, mais « Rosell ». Quant à ses dernières paroles, il m'avait simplement répondu « Salutation ».


— Ross ! appelai-je en bondissant en avant.

Un bloc de roche tomba du plafond.

Devant l'entrée du tombeau.

Je pilais juste à temps pour ne pas me faire écrabouiller à mon tour. Dans la pièce où se trouvaient les dépouilles de Lamia et Nephilim, rien ne s'effondrait. Par-dessus la pierre tombée devant l'entrée de la crypte, qui m'arrivait à hauteur de poitrine, je pouvais encore décortiquer l'action. Des Venge'Rouges se concentraient maintenant sur moi, comprenant qu'ils risquaient de ne bientôt plus pouvoir me mettre la main dessus. Je lançai des flammes sur eux.

Je chancelais, les lumières de la grotte tourbillonnaient comme dans un kaléidoscope, avant que des tâches noires ne dansassent devant mes yeux. Je n'avais vraiment plus d'énergie. J'étais des braises mourantes qu'aucun vent ne parviendrait à ranimer...

L'Épine & la PlumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant